Traduit par Marius-Joseph Marchetti, et publié initialement sur Contrepoints
Cette entrevue a été initialement publiée sur le site du Ludwig Von Mises Institute le 6 février 2014 et réalisée par David Howden1. Les notes de bas de pages sont du traducteur.
Le scandale du pont Chris Christie a mis en lumière certains des pièges du contrôle politique du système routier. Dans cette sélection du chapitre 21 de La privatisation des routes et des autoroutes, Walter Block aborde certaines questions liées à la privatisation des routes. Block propose des solutions pour la décongestion du trafic tout au long du livre.
« Question : Comment la propriété privée des routes pourrait affecter les banlieues métropolitaines ? Les coûts d’usage des routes s’élèveront-ils ? Les problèmes de congestion s’aggraveront-ils, seront-ils sensiblement les mêmes ou s’amenuiseront-ils ?
Walter Block : La privatisation des routes aiderait tout le monde, hormis les bureaucrates, les politiciens, les fonctionnaires d’État employés par les gestionnaires étatiste de routes, etc. J’affirme que le coût d’utilisation des routes diminuerait. Observez la rule of two mentionnée plus haut. Les problèmes de congestion diminueraient, puisqu’une stratégie de prix de pointe2 (en facturant davantage durant les heures de pointe qu’à 3 heures du matin, ce qui permet d’aplanir les variations de demande sur la journée) deviendrait la norme.
Actuellement, l’État mène une politique anti-discrimination par les prix, ce qui exacerbe le problème. On vend couramment des pass mensuels pour les ponts, tunnels, etc. à un prix plus faible par trajet que ce qu’il en serait autrement. Mais qui utilise ces pass ? Des salariés, et non pas des acheteurs occasionnels, des visiteurs. Et quand utilisent-ils ces pass ? Précisément durant les heures de pointe.
Ce n’est pas un accident. Le principe est valable (la congestion est une faillite de l’État) dans beaucoup d’autres cas. Comparez la congestion durant Noël avec La poste et les entreprises privées. La première vous dit de ne pas envoyer de mail durant les heures de pointe ; les secondes se retroussent les manches, engagent des travailleurs en extra, et satisfont les clients.
Question : Comment pouvez-vous concilier le creusement sous la propriété privée d’un individu avec des questions telles que celles posées par les droits miniers ? À quel point au-dessus et sous les droits de propriété s’arrêtent-ils ?
Walter Block : Il y a deux théories sur le sujet. La première, la fausse, est appelée la doctrine ad coelum. Ici, si vous possédez un acre3 de terre à la surface de la planète, vous possédez ce territoire jusqu’au centre de la Terre, dans des cercles rétrécissants ; c’est-à-dire que votre propriété se réduit à un point là-bas (avec toutes les autres). En effet, vous possédez un cône (pensez à un cône de glace) de terre, avec le sommet, qui est en surface de la Terre, et le point en dessous qui est en son centre. En outre, votre propriété s’étend jusqu’au paradis, dans des cercles de plus en plus vastes, encore une fois comme un cône. Le problème avec cette théorie-ci, pour un libertarien qui base les droits de propriété sur celle du homesteading de Locke-Rothbard-Hoppe, est que votre travail n’aura pas été mélangé avec la terre mille lieux sous la surface. En pratique, vous auriez le droit d’interdire aux avions de passer au-dessus de votre propriété, même s’ils volaient 30 000 pieds au-dessus. Souvenez-vous, que pour cette théorie nuisible, votre propriété s’étend du cœur de la planète, jusqu’à une distance indéfinie. Ce que cela implique à propos de la possession des autres planètes n’est qu’un autre reductio ad absurdum de cette vue.
Pour la dernière, celle du homesteading, vous ne possédez que ce à quoi vous avez mélangé votre travail. Si vous jardinez, votre possession va aussi loin que la racine de vos plantes ; peut-être encore quelques pieds en dessous, pour exclure quiconque faisant quelque chose sous terre qui pourrait endommager les cultures. Disons, pour dix pieds ou plus bas, que cela dépend de la structure de la terre. Si vous construisez une maison, alors votre propriété s’étend dans une direction descendante jusqu’à empêcher quiconque d’autre construit dans votre maison par en dessous ; aussi, la distance exacte dépend de la fermeté de la terre sous vos fondations. Si votre maison s’étend à une profondeur de 50 pieds, vous pourriez posséder, disons, une centaine de pieds de profondeur.
Seulement la culture ou la construction d’une maison, ensuite, ne vous donne aucun droit minier quel qu’il soit. Quelqu’un pourrait faire des forages pour capter du pétrole, ou atteindre une mine d’étain, ou autre, cinq mille pieds sous votre propriété, s’ils sont les premiers. Donc, il n’y a pas de raison, en principe, que la résistance contre un constructeur de routes puisse l’empêcher de construire un tunnel en dessous, ou un pont au-dessus, d’une terre.
Question : Est-ce que la construction d’une structure au-dessus de la terre de quelqu’un, en la surplombant de fait, est une atteinte de ses droits de propriété ?
Walter Block : Cela dépend de quelle hauteur au-dessus. Oui, cela pourrait bien être une invasion de leur propriété, si vous la construisez dix ou cent pieds au-dessus, mais peut-être pas si c’est deux cents pieds au-dessus, et certainement pas si c’est quatre cents pieds au-dessus.
Question : Pouvez-vous donner des détails sur l’hypothétique privatisation routière d’une ou de plusieurs municipalités de Saskatchewan ?
Walter Block : Dans le Saskatchewan rural, il y a de bonnes routes de gravier construites à l’entrée de chaque ferme. Pourtant, de nombreuses autoroutes sont remplies de nids-de-poule et sont très traîtres. Habituellement, les municipalités créent et entretiennent les routes locales, et la province le fait pour les autoroutes.
Les impôts fonciers municipaux, qui paient les routes et les écoles, entre autres choses, sont trop élevés au goût de la plupart des propriétaires. Les révoltes fiscales ont récemment été initiées dans le sud du Saskatchewan par des agriculteurs qui étaient tout simplement trop près de leurs sous pour payer des taxes foncières.
Une des options qui a été suggérée pour réduire les impôts est de combiner et mettre en commun les ressources et de partager les coûts d’administration pour deux ou plusieurs districts municipaux. Cela devrait, en théorie, réduire les impôts. Une autre option, que j’aimerais promouvoir, est la privatisation de tous les services municipaux et le démantèlement de ce troisième niveau de gouvernement dans les zones rurales.
Question : Si une compagnie achetait et exploitait en tant qu’entreprise toutes les routes d’une ou de plusieurs municipalités, quelle serait la meilleure façon de percevoir les revenus de leurs utilisateurs ?
Notez que dans une zone d’environ 100 miles, il peut y avoir quelques centaines de points d’entrée depuis un territoire non compris dans une entreprise. Il y aura aussi des visiteurs, certains fréquents et d’autres non. Peut-être ces routes locales devront-elles être entièrement payées par la population locale ?
Walter Block : Il est difficile de dire comment ils collecteraient au mieux les recettes auprès des utilisateurs de ces routes. C’est une décision entrepreneuriale. C’est comme demander, avant l’avènement de Disney World, factureront-ils le tour de manège ou y aura-t-il un forfait d’entrée ? Serait-ce moins cher si vous réservez un pass à la semaine, au mois, à l’année ?
Maintenant que j’ai esquivé votre question éminemment raisonnable, permettez-moi de spéculer sur ce sujet. Une possibilité serait un tarif kilomètrique, en fonction de l’heure et du jour de la semaine. Une autre serait un forfait fixe. Une troisième serait une sorte de combinaison de cela. Peut-être que le propriétaire des routes (qui est susceptible d’être une entreprise dont les actions sont la propriété des agriculteurs locaux) offrirait le choix à cet égard à ses clients. Les entreprises de transport qui ont bien desservi les consommateurs en profiteraient et pourraient se développer, celles qui ne le feraient pas subiraient des pertes et seraient probablement reprises par de meilleurs gestionnaires. Probablement, les visiteurs seraient facturés plus cher, à moins que l’endroit essaye d’attirer des touristes.
Observons les routes privées dans les centres commerciaux. Certains vous permettent de vous garer gratuitement s’ils souhaitent encourager la fréquentation. D’autres facturent des frais, sauf si vous effectuez un achat. Les pratiques varient. Ainsi en serait-il à Saskatchewan. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que si différentes politiques de prix perdurent, alors elles répondent toutes aux besoins des consommateurs. Si ce n’est pas le cas, les plus efficaces évinceront les plus inefficaces.
Question : Les poids lourds qui transportent le grain et le bétail sur ces routes de gravier sont responsables de la majeure partie de la dégradation. Peut-être que les conducteurs de ces camions devraient payer plus de frais d’accès routier que les conducteurs de voitures et de camionnettes ?
Walter Block : Ici, j’ai des appuis plus solides. Nous avions déjà des routes privées il y a plusieurs siècles. Ils facturaient davantage pour des wagons plus lourds, les chevaux et les essieux supplémentaires. Ils facturaient en fonction de la largeur d’une roue. Beaucoup pour les roues minces, qui sillonnaient les chemins de terre (pensez aux patins à glace), et moins pour les roues larges, qui les tassaient (pensez aux rouleaux à vapeur). Je ne doute pas que les camions lourds paieraient plus, beaucoup plus. Peut-être ils seraient facturés à l’inverse de la pression dans leurs pneus.
D’un autre côté, si nous avions des routes privées, nous aurions très probablement une liberté économique totale. Ce qui signifie, en réalité, aucun syndicat. Mais le travail organisé a ruiné les chemins de fer. Sans les syndicats de chemins de fer, les chemins de fer transporteraient probablement la plus grande partie du fret, et ces gros camions seraient beaucoup plus rares sur les autoroutes (confinées aux trajets courts). Donc, cette question pourrait être discutable.
Question : Beaucoup de ces routes de campagne prennent fin dans une impasse chez un paysan. En réalité, la route est une allée qui est principalement utilisée par cette famille d’agriculteurs. Un agriculteur pourrait-il acheter sa propre route ?
Walter Block : Bien sûr. Pourquoi pas ? C’est comme demander si quelqu’un serait en mesure d’acheter son propre kiosque à journaux, restaurant, magasin de chaussures. Bien entendu, n’importe qui peut faire une offre pour tout ce qu’il veut dans une société libre. Par ailleurs, une chose telle que la spécialisation et la division du travail existent. Il est probable qu’il y aura des spécialistes de la route qui pourraient soustraire ces tâches aux agriculteurs (avec l’accord de ces derniers). De la même manière, chaque agriculteur n’est pas son propre menuisier, plombier, couvreur, restaurateur, etc.
Question : Que se passe-t-il si une personne achète une route menant à la cour de sa ferme mais qui, en outre, était également utilisée (à l’époque où l’État possédait les routes) par un voisin pour rejoindre un morceau de terre autrement isolé ? Maintenant, pour une raison quelconque (peut-être que les deux voisins se détestent), le nouveau propriétaire de la route décide de refuser le passage à son voisin. Quelles sont les solutions probables à ce problème ?
Walter Block : J’aborde cette question au chapitre 1 de ce livre. Supposons que vous viviez dans une rue et que son propriétaire vous dise tout à coup que vous ne pouvez plus sortir dans la rue faute de quoi il vous facturera un million de dollars à chaque fois. Devez-vous monter à bord d’un hélicoptère ou devenir un grand sauteur à la perche, pour pouvoir quitter votre propre propriété ? Pas du tout !
En vertu des arrangements institutionnels actuels, avant d’acheter une maison ou une quelconque propriété, vous devez souscrire à un contrat d’assurance. Vous voulez être protégé contre quiconque prétend qu’il est vraiment propriétaire de la maison que vous venez d’acheter. Eh bien, à l’ère des routes privées, vous achèteriez également une assurance d’accès.
Vous ne voudriez pas être pris au piège sur votre propre propriété. Personne n’achèterait un bien immobilier à moins qu’il ne soit certain que ce genre de piège ne pourrait pas lui arriver. En effet, c’est dans l’intérêt financier du propriétaire de ne pas faire ça, car il souhaite attirer, et non repousser, les personnes vivant adjacent à sa route, afin qu’il puisse en tirer davantage profit.
Question : Si un homme veut vivre seul dans une région rurale où il n’y a actuellement aucune route, supportera-t-il probablement le coût de sa construction et de son entretien ? Une fois construit, la possédera-t-il ?
Walter Block : Oui, il supportera tout le coût de la route, tout comme il supporte maintenant tout le coût des briques, du plâtre, du ciment, jusqu’à cet endroit isolé. Et bien sûr, il serait alors propriétaire de la route, tout comme il possède maintenant sa maison. Il n’y aurait aucune subvention publique, telle que celle fournie par le bureau de poste, pour livrer le courrier dans des lieux peu fréquentés au même prix que celui reçu dans la ville, où la distribution du courrier coûte moins cher, grâce aux économies d’échelle. »
- David Howden est président du département des affaires et d’économie et professeur d’économie au campus de Madrid de l’Université St. Louis et vice-président académique de l’Institut Ludwig von Mises du Canada. ↩
- nous avons traduit peak-load pricing par prix de pointe. Le peak-load pricing est la stratégie qui consiste à appliquer le prix le plus haut possible lorsque la demande pour un bien ou un service est la plus élevée. ↩
- Un acre est une unité spatiale utilisée dans les systèmes coutumiers.