[Review] L’Education gratuite et obligatoire, de Murray Rothbard

Par Marius-Joseph Marchetti,

L’éducation gratuite et obligatoire est une traduction de 2016 de Education: Free and Compulsory, de Murray Rothbard, publié initialement en 1979. Cette traduction, commanditée par l’Institut Coppet et réalisée par Nathanael Lavaly, Claude Balança, et Marius-Joseph Marchetti, reste largement dans l’ère du temps, et le lecteur a tout intérêt à s’y intéresser pour comprendre les fondations du système actuel de l’Éducation nationale et de tout système d’éducation publique et obligatoire. Nous laissons au lecteur le soin de découvrir la première partie de notre synthèse, publié précédemment sur Contrepoints

Murray Rothbard se lance dans un descriptif des origines du système d’éducation obligatoire. Le premier endroit où un système d’éducation publique a atteint sa conséquence logique fut Sparte, avec son modèle d’obéissance absolue envers l’Etat (qui inspira Platon sur son modèle d’Etat Idéal, qui est décrit dans La République, et Les Lois). Le spectre de l’éducation obligatoire ne réapparaît pas avant 1524, sous la plume de Luther[1] et sous sa demande, les premières écoles publiques furent créées. Le but de Luther est tout visible : la mise en place d’un Etat absolutiste soumis aux principes luthériens[2]. L’Etat ne pouvait tolérer les hérétiques. L’autre influenceur majeur militant pour la scolarité obligatoire fut Calvin. 

Comme le fait remarquer Rothbard, ce n’est pas un hasard si la Prusse, l’Etat le plus notoirement despotique de l’Europe, fut celui qui institua le premier un système de scolarisation obligatoire. Sous Frédéric-Guillaume III, l’Etat fut considérablement renforcé, des examens d’Etat et certifications furent adoptés pour contrôler les futurs chercheurs et autres, et pour préparer tout le peuple à la guerre. Le système prussien fut d’ailleurs le modèle principales du mouvement éducationniste aux Etats-Unis. L’éducation scolaire obligatoire fut également un instrument redoutable pour promouvoir certaines langues et en éradiquer d’autres.[3] 

En France, l’éducation obligatoire fut inaugurée en même temps que le service militaire dans la Constitution révolutionnaire de 1791. A l’arrivée Napoléon, l’éducation publique fut totale, les écoles privées placées sous un contrôle strict de l’Etat, et aucune école ne pouvait être créée sans l’autorisation de l’Etat. Cependant, sous la Restauration , le système est largement démantelé et ne recommencera à se reconstituer sous l’impulsion de Guizot. L’éducation restera cependant essentiellement libre jusqu’à la dernière partie du XIXème siècle. Surviendra ensuite la défaite contre la Prusse, qui motiva les français à imiter le système scolaire prussien.[4]

C’est l’Angleterre qui résista le mieux à la vague des éducateurs, du fait de sa tradition politique individualiste, en témoigne les critiques acerbes de Herbert Spencer et de Sir Henry Maine. Cela n’a pas empêché l’opinion de changer rapidement sur ce sujet. Les principaux arguments avancés par les défenseurs de la réforme étaient ceux-ci :

-que les citoyens devaient être éduqués pour savoir ce qui étaient le mieux pour eux

-que des citoyens éduqués permettraient de faire diminuer la criminalité

Il n’est guère besoin de s’étaler sur les cas totalitaires. L’éducation scolaire obligatoire est un instrument toujours mis en place en vue d’instaurer l’obéissance et la passivité des sujets. Le cas de l’Italie fasciste, cependant, peut être soulevé car il diverge avec les cas communiste et national-socialiste. Les enfants étaient laissés libres de faire ce qu’il souhaitait, tant que le mythe du héros national était bien intégré. Le cas fasciste était une anticipation de “l’éducation progressiste” qui a cours aujourd’hui.

Le cas de la Nouvelle-Angleterre, marque le début de la scolarité obligatoire aux Etats-Unis, et ce n’est pas un hasard puisque cet Etat est dominé par la tradition calviniste. Les premières lois furent adoptées en 1642, comme celle qui consistait à saisir les enfants si leurs parents étaient jugés inaptes à s’occuper d’eux. Les écoles publiques obligatoires ont suivi en 1647. L’inspiration de ce modèle était clairement l’absolutisme calviniste visant à l’instauration d’une théocratie. Même si une remise à plat s’est produite avec les guerres révolutionnaires, à la fin du XVIIIème siècle, presque tous les Etats avaient rendu la scolarité obligatoire et fondé un système d’école publique. Même si la tradition individualiste a protégé un temps les Etats-Unis, ce fut bientôt le système prussien qui fut pris en modèle par nombre d’Américains. Ce sont les éducateurs, avec les syndicats, qui finirent par imposer le système scolaire publique et obligatoire à l’ensemble des Etats-Unis. 


Ce mouvement, nous dit Rothbard, a été initié par les  éducationnistes. Il n’y a qu’à rappeler les propos du révérend Jeremy Belknap, qui “préconisait une éducation égale et obligatoire pour tous, soulignant que les enfants appartenaient à l’Etat et non à leurs parents.”[5] Tous les éducationnistes étaient effectivement motivés par l’application des préceptes d’un gouvernement despotique : la volonté d’imposer l’obéissance, l’ordre républicain, le plein contrôle des enfants par l’Etat. Cette dernière caractéristique était l’intention particulière de deux socialistes américains, Frances Wright et Robert Dale Owen. Ils proposaient notamment, la “réception générale” des enfants, qui vivraient dans des établissements publics et séparés de leurs parents (qui pourraient les voir de temps en temps)[6]. Les enfants seraient confisqués à leurs parents dès l’âge de deux ans, seraient vêtus et éduqués de la même manière, auraient les mêmes jouets, les mêmes logements, etc … pour ne pas qu’ils grandissent dans l’inégalité : Le plan Owen-Wright est l’aboutissement de l’égalitarisme. Et bien qu’il semble utopique, il a une grande influence aux Etats-Unis.[7] Une autre des caractéristiques qui fait du système scolaire publique une tyrannie est que les professeurs sont régis par le statut de la fonction publique, et de ce fait, ne sont pas révocables. La situation est donc, juge Rothbard, encore pire que dans le cas d’un élu, qui n’est là que pour la durée de son mandat. Les professeurs ne sont soumis à aucun contrôle démocratique. 

Le système scolaire obligatoire et publique cumule donc bien des défauts : il est attentatoire aux droits des parents et des enfants ; il est le stricte contraire de l’ordre civilisationnel qui vise à étendre les potentialités de l’homme ; il vise, intrinsèquement, à instaurer l’égalitarisme et le despotisme par une violation des droits, le nivellement par le bas, et l’unification linguistique. Le système obligatoire financé est, pour reprendre les termes d’Isabel Paterson, le modèle type de l’Etat totalitaire. 

[1] Luther, Lettre aux conseillers de toutes les villes d’Allemagne pour l’établissement et le maintien d’écoles chrétiennes, cité dans John William Perrin, The History of Compulsory Education in New England, 1896 : “Chers conseillers … Je maintiens que les autorités civiles sont dans l’obligation de contraindre les gens à envoyer leurs enfants à l’école … Si l’Etat peut obliger ces citoyens aptes au service militaire à porter la lance et la carabine, et à effectuer d’autres obligations martiales en tant de guerre, combien est plus fort son droit d’obliger les gens à envoyer leurs enfants à l’école, car dans ce cas, nous sommes en guerre contre avec le diable, dont l’objet est d’épuiser secrètement nos villes nos principautés de nos hommes forts.”

[2] Lord Acton, “The Protestant Theory of Persecution” dans ses Essays of Freedom and Power (Glencoe, Ill., The Free Press,1948), p.88-127

[3] Ludwig Von Mises, Omnipotent Government: The Rise of the Total State and Total War (Spring Hills, Penn., [1944] Libertarian Press, 1985), p.82-83 : “Le principal outil de dénationalisation et d’assimilation est l’éducation … Dans les territoires linguistiquement mixtes elle s’est transformée en arme redoutable, placée entre les mains de gouvernements déterminés à changer l’allégeance linguistique de leurs sujets. Les philanthropes et les éducateurs … qui prônaient l’éducation publique ne prévoyaient pas que des vagues de haine et de ressentiment sortiraient de cette institution.”

[4] Léon Gambetta : “si l’instituteur prussien a gagné la dernière guerre, c’est à l’instituteur français de gagner la prochaine.”

[5] Murray Rothbard, voir Hans Kohn, The Idea of Nationalism : A Study in Its Origins and Background (New York, Macmillan, 1934), p.104

[6] Robert Dale Owen et Frances Wright, Tracts on Republican Government and National Education (Londres, 1847) : “Dans ces crèches d’une nation libre, aucune inégalité ne doit être autorisée à pénétrer. Les enfants seront alimentés de la même manière ; vêtus d’un même costume … élevés dans l’exercice d’un but commun … dans l’exercice des mêmes vertus, dans la jouissance des mêmes plaisirs ; dans l’étude de la même nature ; à la poursuite du même intérêt … dites donc ! Une telle entrée en matière … ne permettrait-elle pas la réforme de la société et le perfectionnement des institutions libres de l’Amérique ?”

[7] voir Cremin, op. cit, p.37 et suiv, qui est un historien favorable au système d’école publique obligatoire et qui place le plan Owen-Wright en tête en terme d’influence, notamment sur les groupes de travailleurs. 

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