Par Marius-Joseph Marchetti,
Chers lecteurs, aujourd’hui, nous vous proposons cette review du chapitre 12 du livre Démocratie, le Dieu qui a échoué de Hans-Hermann Hoppe. Dans ce chapitre, Hans-Hermann Hoppe nous parle d’un des thèmes centraux de l’anarcho-capitalisme : la production privée de la sécurité.
Hoppe commence en parlant du mythe hobbesien. Le mythe hobbesien peut être résumé comme suit : Homo homini lupus ou l’homme est un loup pour l’homme. En somme, l’état de nature hobbesien se caractérise par un état constant d’insécurité, ou comme le qualifie lui-même Hoppe, “un état de “sous-production” de la sécurité.”. C’est ainsi que Hobbes et affiliés appellent à l’établissement de l’Etat. pour mettre fin à cette guerre interpersonnelle permanente.C’est de ce mythe que par la croyance dans le fait que la sécurité est un bien collectif que l’Etat doit fournir. C’est sur cette conviction que l’Etat moderne repose. Mais la grande question posée par Hans-Hermann Hoppe est celle-ci : L’Etat permet-il réellement de réduire les actes agressifs dans une société ? Car c’est bien sur cette justification originelle que celui-ci repose en grande partie.[1]
Avant de fournir quelque observation que ce soit, l’auteur nous rappelle une vérité fondamentale, que nous avons déjà abordé dans notre résumé du chapitre 11 antérieurement : cette logique de la nécessité d’un juge entre deux agents A et B s’appliquent tout aussi bien entre les Etats eux-mêmes, et les Etats et les différents agents n’étant pas sous leur juridictions. Il s’en suit que le monde actuel, en l’absence d’un Etat mondial pour jouer le rôle d’intermédiaire entre tous les Etats et les gouvernés, devraient se caractériser par l’état de nature hobbesien, ce qui n’est évidemment pas le cas.
L’Etat remplit-il donc le rôle pour lequel il a été, soi-disant, institué ? Hans-Hermann Hoppe nous répond que non. Que loin d’être un protecteur de la propriété privée, l’Etat a tendu à réduire le champ de la propriété a un tel point que les propriétaires ne sont plus que de simples délégataires[2]. Tous les droits allant de soi avec la propriété privée, celui de s’associer et celui d’exclure, celui de vendre et celui d’acheter, celui d’en user comme bon nous semble (sans mettre en péril la propriété d’autrui) et celui de pouvoir en recueillir pleinement les fruits, sont profondément restreints et réglementés, lorsque ceux-ci ne sont pas carrément interdits.[3]
A cela, les étatistes répondent, comme les vieux socialistes, déçus de l’URSS : “ce n’était pas le vrai socialisme”, “ce n’était pas le véritable étatisme”, “le prochain dirigeant fera mieux.” A cela, nous référant les lecteurs aux réponses respectives de Ludwig Von Mises et de Murray Rothbard contre la stratégie d’immunisation des socialistes[4] et des étatistes[5].
Hans-Hermann Hoppe aborde la partie la plus importante de son chapitre : quels sont les arguments en faveur de la sécurité privée et quelle forme celle-ci prendrait ? Il existe un certain consensus parmi les libertariens anarcho-capitalistes (Gustave de Molinari, Murray Rothbard, David Friedman, Linda et Morris Tannehill) que la défense est une forme d’assurance et que, comme tout assurance, les gens couverts par ces services paieraient des primes d’assurance. Cela semble être une solution plausible, étant donné que, malgré les restrictions réglementaires actuelles, celles-ci offrent déjà un large éventail de couverture. Cela serait également de leur intérêt d’assurer la meilleure protection pour l’assuré, car “Meilleure est la protection des biens assurés, moins les demandes d’indemnisation et donc, les coûts de l’assureur sont élevés.”[6]
Hoppe soulève ensuite un point important : si les compagnies d’assurance assure la défense et la protection, deux problèmes demandent clarification :
-on ne peut s’assurer contre tous les risques de la vie (je ne peux pas m’assurer contre mon propre suicide ou l’incendie ma maison par moi-même, par exemple). On contrôle partiellement ou complètement ce risque, et donc on doit s’assurer individuellement contre ce type de risque. Qu’est-ce qui fait donc de la défense un risque assurable, s’interroge Hoppe ? Nous passerons les détails pour fournir la réponse apportée par Hoppe : c’est le fait d’exclure, dans le contrat de l’assuré, la possibilité d’agresser un tiers, et donc de déclencher soi-même une agression.
Il ressort de cela une caractéristique fondamentale de la protection-assurance : un agresseur ne peut trouver assureur et sera économiquement isolé, et si quelqu’un souhaite une protection supérieure à une simple auto-défense, il devra se soumettre à l’obligation d’un comportement civilisé envers ses pairs, ce qui entraînerait progressivement l’augmentation du nombre d’assuré et la diminution des primes d’assurance. Les avantages ne s’arrêtent pas là. La concurrence entre compagnies privées permettrait une évolution et une plus grande souplesse du droit, mais également à un développement du droit intergroupe (si deux codes de droit se trouvent en conflit). Comme pour d’autres activités, les compagnies proposeraient des ensembles de services différenciés. Comparé à la situation actuelle, le droit serait également beaucoup stable que lorsqu’il est subordonné aux promesses électorales et à la modification de la législation.
De plus, les assureurs apporteraient une attention toute particulière à la localisation de leurs assurés. Ils chercheraient à assurer ceux où les coûts de protection seraient les plus faibles, ce qui se répercuteraient à la baisse sur les primes. On aurait donc un mouvement des zones où les zones sont les moins sûres vers les plus sûres. Les valeurs mobilières dans les zones sûres (coût de protection faibles) sont plus élevées, et inversement. Les compagnies d’assurance sont donc fortement incités à fournir une protection efficace, car la valeur de leurs propres biens en dépend. Le système assurantiel de protection est donc incitatif et aura une tendance à la baisse des prix. Cela est fondamentalement différent de la politique étatique actuelle, où ceux sont généralement les quartiers à faible criminalité qui “subventionnent” ceux à forte criminalité. Les lieux à forte valeur immobilière seront plus fortement taxés que ceux à faible valeur immobilière. Ce point soulevé, il nous permet de rebondir sur le suivant.
Une critique souvent faite aux anarcho-capitalistes est, que dans un monde essentiellement caractérisé par la présence d’une multitude d’Etat, une société privée ne pourrait pas prospérer et même vivre sous les pressions et agressions externes de celles-ci. Le risque augmentant avec le nombre d’agresseur potentiel, on comprend aisément que les zones privées à proximité des territoires étatiques seraient celles considérés comme les plus dangereuses, et que les primes seraient donc plus élevées que celles où les compagnies n’auraient qu’à subir le risque d’agresseur privé. Ces primes serviraient donc à équiper les zones privées à proportion du risque d’invasion et d’agression par les territoires étatiques. L’attaque d’un Etat envers un territoire libre reste cependant hautement improbable (et dangereux), et ce pour plusieurs raisons :
-Le pouvoir reposant in fine toujours sur l’opinion du public, aucune propagande ne peut justifier l’attaque injustifiée envers des personnes innocentes (à l’inverse d’une nation démocratique, il n’existe pas de confusion entre gouverneur et gouvernant, et dans le cas du territoire libre, entre l’assureur et ses assurés).
-Dans le cas où une tentative d’invasion aurait cependant lieu, l’envahisseur se retrouverait face à une population armée (et ceux car les compagnies d’assurance proposeraient des primes à prix réduits pour les possesseurs d’arme). Il ferait également face, non pas à une, mais à plusieurs compagnies d’assurance, et elles seraient équipées en proportion du risque encouru par leurs assurés (risque de menace étatique donc).
Si les lecteurs sont intéressés par les détails de la logique assurantielle que nous n’avons pu aborder (ou d’autres points encore), faute d’écrire carrément un essai, nous les invitons à lire Hans-Hermann Hoppe.
[1] “Nous considérons ces vérités comme allant de soi : que tous les hommes sont créés égaux ; qu’ils sont dotés par leur Créateur de droits inaliénables ; que ceux-ci comprennent la vie, la liberté et la poursuite du bonheur ; que pour garantir ces droits, des gouvernements sont institués parmi les hommes, qui tirent leurs justes pouvoirs du consentement des gouvernés.” Déclaration d’indépendance, rédigé par Thomas Jefferson
[2] voir Henri Lepage, Pourquoi la propriété, Collection Pluriel, 1985, p.30-31 : “Ainsi, à partir du moment où l’on reconnaît à l’Etat le droit illimité d’interférer et de modifier autoritairement le contenu des droits de propriété légitimement acquis par des individus, la propriété cesse d’être l’extension naturelle de la personne comme dans la tradition du droit libéral ; elle devient un privilège d’Etat dont l’usage est seulement concédé à des personnes privées.”
[3] “Car afin de nous apporter tant de « protection », les gestionnaires de l’État exproprient plus de 40% des revenus des producteurs privés, année après année. Dette et obligations étatiques ont augmenté sans interruption, poussant ainsi le besoin d’expropriations futures. En raison de la substitution de l’or par du papier-monnaie étatique, l’insécurité financière s’est fortement accrue, et nous sommes continuellement volés via la dépréciation monétaire. Chaque détail de la vie privée, la propriété, le commerce, et le contrat, est régi par des montagnes de lois (la législation) toujours plus nombreuses, créant ainsi une incertitude juridique permanente et un risque social sur le plan moral. En particulier, nous avons été progressivement dépouillés du droit à l’exclusion impliqué dans le concept même de propriété.” Hans-Hermann Hoppe
[4] “Tant que le caractère essentiel du socialisme, c.-à-d. l’absence de propriété privée des facteurs de production, demeure en vigueur, aucune réforme ne sera d’aucune utilité. L’idée d’une économie socialiste est une contradiction dans les termes, et l’affirmation que le socialisme représente un mode de production sociale plus « élevé » et plus efficace est absurde.” Hans-Hermann Hoppe
[5] “Tant que la caractéristique déterminante — l’essence même — de l’État reste en place, nous expliqua-t-il, aucune réformé, qu’elle soit personnelle ou constitutionnelle, ne portera ses fruits. Étant donné son principe d’institution — le monopole judiciaire et le pouvoir d’imposition — toute notion de limitation de son pouvoir et de protection de la vie et des biens individuels est illusoire.” Hans-Hermann Hoppe
[6] Hans-Hermann Hoppe