[Review] Démocratie, Le Dieu qui a échoué : les erreurs du libéralisme classique

Par Marius-Joseph Marchetti,

Aujourd’hui, nous vous présenterons le chapitre 11 de Démocratie, le Dieu qui a échoué, le magnum opus de Hans-Hermann Hoppe. Ce chapitre 11, bien que court, est probablement le plus passionnant, car il traite des erreurs du libéralisme classique. Il est donc, à tout point de vue, celui dont la lecture sera la plus bénéfique pour ceux qui défendent une conception de l’État minimal.

 

Hans-Hermann Hoppe commence son chapitre en rappelant brièvement ce que nous appelons libéralisme, en citant le libéral par excellence du XXème siècle, Ludwig Von Mises[1]. Ce rappel est nécessaire pour comprendre les tenants et aboutissants logiques de la pensée libérale. Il continue brièvement en constatant que, malgré des sursauts libéraux (comme la chute du mur de Berlin, la défaite du nazisme, l’effondrement de l’URSS), le XXème siècle a été par excellence le siècle de l’avènement du socialisme, avec ces formes dominantes post-chute de l’URSS, j’ai nommé la sociale-démocratie libérale et le néoconservatisme[2]. 

 

Hans-Hermann Hoppe nous pousse donc à nous demander ce qui a pu entraîner une dépréciation aussi fulgurante des idées libérales dans l’opinion publique. Serait-ce simplement dû à la marche de l’histoire, une dysgénie dans l’organisme de nos contemporains, ou un renversement des idées dans l’opinion publique ? Hans-Hermann Hoppe, pour sa part, nous invite à chercher la réponse parmi les contradictions conceptuelles du libéralisme classique. Ces erreurs viennent de sa théorie de l’État : les libéraux admettent, évidemment, les thèses lockéennes sur la primo-occupation, de propriété de soi et de droits de l’Homme universels, de l’homme comme animal rationnel et s’organisant en société pour pallier aux agresseurs de l’ordre social. Pour un libéral, gouvernants comme gouvernés sont soumis aux même règles de justice universelle. Mais l’État, de par son origine, transgresse ces fondements de la philosophie libérale. À l’inverse d’une entreprise privée (et de ce que peuvent bien soutenir Buchanan et Tullock), l’État ne tire pas ses revenus d’arrangements contractuels, mais de l’exploitation d’un monopole territorial. Toutes les inventions du constitutionnalisme libéral ne fournissent toujours pas d’arrangement satisfaisant prouvant l’unanimité du consentement d’une structure de ce genre.

 

On comprend comment, en respectant les lois de primo occupation, des propriétaires privés pourraient monter des compagnies d’assurances en concurrence, mais non comment ils pourraient se mettre d’accord pour décider d’un monopoleur unique et excluant d’office les gens souhaitant proposer leurs offres, sans de prime abord rompre avec les lois de primo-occupation et de propriété de soi. Le principe d’un contrat social non révocable et dont le monopoliste fixerait lui-même la prime à lui verser est un paradoxe.  Comme relève Hans-Hermann Hoppe, une fois que le principe d’un monopole judiciaire apte à prélever des taxes est jugé comme cohérent avec la théorie libérale de base, rien n’empêche à l’État de s’étendre[3], et en tant que monopole, c’est dans sa nature d’augmenter le montant de ses prélèvements et de réduire ses quantités produites.

 

La deuxième incohérence que relève Hans-Hermann Hoppe dans ce chapitre 11, est l’attachement des libéraux pour un Etat local et décentralisé, car chaque État « a une tendance intrinsèque à la centralisation et finalement à devenir un État mondial »[4]. Comme le rappelle Hans-Hermann Hoppe, une fois admis que pour entretenir une coopération pacifique entre deux agents, il faille un monopole judiciaire, se pose deux conclusions : 

-Si il est nécessaire d’avoir un monopoliste X pour garantir la paix entre A et B, et qu’il y a plus d’un monopoliste territorial (disons Y), il faut également un échelon supplémentaire de monopoliste au dessus des monopoles X et Y pour garantir la paix entre eux (vu qu’ils sont dans un état d’anarchie).

-La deuxième conclusion est celle-ci : l’idée d’égalité de droits, mêlé à l’État, a conduit à la promulgation de l’égalitarisme. De la protection de l’égale liberté de tout un chacun, l’Etat est passé à l’égal accès aux postes du pouvoir, ce qui a peu à voir avec l’égalité en droit.

 

Une fois l’État approuvé, les libéraux se retrouvent sans argument moral face aux socialistes et néoconservateurs. C’est pour cela que Hans-Hermann Hoppe nous invite à corriger ce qu’il appelle cette « erreur fondamentale ». Une transformation suivrait, à la suite du rejet nécessaire de cette erreur : celle de l’éviction des intellectuels auto-désignés libéraux, la radicalisation des idées, le retour d’un libéralisme clairement hostile au pouvoir, et retrouvant sa prétention passée de faire sécession (qu’ils possédaient alors durant la Révolution américaine). Ils se doivent de revendiquer le droit à l’auto-détermination, comme le fit Ludwig Von Mises dans Libéralisme :

 

 

“Le droit à l’auto-détermination sur la question de l’appartenance à un État signifie donc : chaque fois que les habitants d’un territoire donné, qu’il s’agisse d’un seul village, d’un district entier ou d’une série de districts adjacents, font connaître, par un plébiscite librement organisé, qu’ils ne souhaitent plus rester unis à un État […] leurs volontés doivent être respectées et satisfaites. C’est le seul moyen possible et efficace de prévenir les révolutions et les guerres civiles et internationales. […] S’il était possible d’accorder ce droit à l’auto-détermination à chaque individu, il faudrait le faire.”[5]

[1]  Ludwig von Mises, dans son traité intitulé Liberalism: In the Classical Tradition (lrvington-on-Hudson, N.Y.: Foundation for Economic Education, 1985), à la page 19 :“Le programme du libéralisme […] si condensé en un seul mot, devrait se lire : la propriété, c’est-à-dire la propriété privée des moyens de production (car en ce qui concerne les produits prêts à la consommation, la propriété privée est une évidence et n’est pas contestée même par les socialistes et communistes). Toutes les autres exigences du libéralisme découlent de cette exigence fondamentale.

[2] “J’ai soutenu qu’un consensus remarquable sur la légitimité de la démocratie libérale [c.-à-d. sociale-démocrate] comme système de gouvernement émergea dans le monde ces dernières années, victorieux des idéologies rivales comme la monarchie héréditaire, le fascisme et plus récemment le communisme. Mais plus encore, cependant, j’ai soutenu que la démocratie libérale pouvait constituer le « point final de l’évolution idéologique de l’humanité » et la « forme finale de gouvernement humain », et qu’en tant que telle constituait « la fin de l’histoire ». C’est-à-dire que, alors que les formes antérieures de régimes étaient caractérisées par de graves défauts et irrationalités qui menèrent à leur effondrement, on pouvait prétendre que la démocratie libérale soit exempte de contradictions internes aussi fondamentales.”  Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man (New York: Avon Books, 1993)

[3] Murray Rothbard, The Ethics of Liberty, p.182 : “s’il est légitimé pour un État de taxer, pourquoi ne pas taxer ses sujets pour fournir d’autres biens et services qui pourraient être utiles aux consommateurs : pourquoi l’État, par exemple, ne devrait-il pas construire des aciéries, fournir des chaussures, barrages, services postaux, etc. ? Car chacun de ces biens et services est utile aux consommateurs. Si les laissez-fairistes objectent que l’État ne devrait pas construire des aciéries ou des usines de chaussures et les fournir aux consommateurs (gratuitement ou pour la vente) parce que la contrainte fiscale serait utilisée pour construire ces usines, alors la même objection peut bien sûr être faite envers la police étatique ou le service judiciaire.” 

[4] Hans-Hermann Hoppe

[5] Mises, Liberalism, pp. 109-10

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