Par Marius-Joseph Marchetti,
On a souvent tendance, je remarque, à occulter la différence entre la « Liberté des Modernes » et la « Liberté des Anciens » (pour reprendre les termes de Benjamin Constant), à mettre tout et son contraire sous le terme de « liberté ». Pour les Anciens, la liberté était la place laissée au citoyen dans la vie publique. La liberté, c’est la qualité de citoyen. Pour les Modernes, au contraire, la liberté est l’absence de l’ingérence du pouvoir dans le domaine privée des individus et s’oppose à l’arbitraire. Nous pourrions nous arrêter là, si les propos de Benjamin Constant n’étaient pas à nuancer. Comme le rappelle Friedrich Hayek (philosophe et Prix Nobel d’Economie de 1974) dans son ouvrage La Constitution de la Liberté, cette opposition n’est pas exacte. Hayek rappelle également, avec de nombreuses références, que dans la Grèce Antique, le foyer d’un homme était considéré comme un domaine inviolable.
“Vu l’allégation fréquente d’un manque de liberté individuelle dans la Grèce classique, il convient de mentionner qu’à Athènes, au V« siècle av. J.-C., le caractère sacré du domicile privé était si pleinement reconnu que, même sous le règne des Trente Tyrans, un homme « pouvait sauver sa tête en restant chez lui », voir J. W. Jones, The Law and Legal Theory of the Greeks, Oxford, 1956, p. 91 avec référence à Démosthène, XXIV, 52.”. Friedrich Hayek
Nous pourrions également citer Thucidyde, qui déclara : “Bien que l’influence de la tradition classique sur l’idéal moderne de la liberté ne puisse être contestée, sa nature est souvent mal interprétée. On a souvent dit que les Anciens ne connaissaient pas la liberté au sens de liberté individuelle. C’est vrai en bien des endroits et à bien des moments, même dans la Grèce antique, mais certainement pas à Athènes lors de son apogée (ou à Rome vers la fin de la République). Cela peut être vrai de la démocratie dégénérée du temps de Platon, mais sûrement pas de ces Athéniens dont Périclès disait « la liberté dont nous jouissons dans notre système de gouvernement s’étend aussi à notre existence ordinaire, (où) loin d’exercer une surveillance jalouse les uns sur les autres, nous ne nous sentons pas appelés à nous irriter contre notre voisin s’il fait ce qui lui plaît »”
Plutôt que de parler de Liberté des Anciens et de Liberté des Modernes comme le fait Benjamin Constant, il préfère distinguer ce qu’il nomme Liberté Anglicane et Liberté Gaélique (ou pour parler plus franchement, il opère une distinction entre la liberté au sens anglais du terme et la liberté au sens français du terme). Il nuancera cependant ces propos Benjamin Constant, malgré son origine suisse, était qualifié par ses contemporains et ennemis comme ayant des « idées bien anglaises » du fait de sa conception de la liberté (tout comme l’était Montesquieu). Si cela ne vous semble qu’être qu’une constatation fortuite, cela n’est guère le cas. À l’inverse, Hayek décrit Jeremy Bentham, anglais, père de l’utilitarisme, comme étant imbibé du rationalisme constructiviste des penseurs français. Il déclare dans La Constitution de la Liberté :
« Le nouveau libéralisme qui a peu à peu remplacé le «Whiggisme» a été influencé de plus en plus par les tendances rationalistes des philosophes radicaux et de tradition « française ». Bentham et les Utilitaristes ont gravement détérioré les convictions que l’Angleterre avait partiellement héritées du Moyen Âge en traitant par l’ironie presque tout ce qui avait jusqu’alors été les traits les plus admirés de la constitution britannique. Et ils ont introduit en Grande-Bretagne ce qui en avait auparavant été totalement absent – le désir de refaire de fond en comble le droit et les institutions sur la base de principes rationnels. »
En dépit de ces exceptions, Hayek préfère donc séparer la liberté ainsi :
-La liberté gaélique, caractéristique du rationalisme constructiviste des penseurs français et hérité des Descartes, Platon, etc ..
-La liberté anglicane, caractérisant le scepticisme des penseurs anglais, Lumières Ecossaises et en directe lignée des idées Helléniques.
La liberté gaélique souffre de cette idée utopique que tout peut être changé, comme si l’on balayait un échiquier d’un revers de main. Elle a malheureusement nourri et alimenté nombre de planiste. La liberté anglicane, au contraire, est un produit de l’évolution culturelle, qui a permis à l’Occident de se doter d’institutions visant à la protection des individus contre l’arbitraire (La Common Law en est un bon exemple). La liberté peut vouloir dire tout et son contraire dans l’esprit des gens. C’est peut-être pour cela qu’il est plus que temps de se pencher sur le sens véritable de la liberté, comme l’on fait les Classiques) pour éviter que nous sacrifions cette Liberté sur l’autel d’un soi-disant « intérêt général qui ne sert que ceux qui possèdent le pouvoir.