Par Marius-Joseph Marchetti,
On aura entendu, bien souvent, chez les libéraux comme chez leurs adversaires, parler de la dichotomie insurmontable qui existe entre le libéralisme, qui s’appuie sur une philosophie individualiste (et nous ne cesserons encore une fois de ne point confondre celle-ci avec l’égoisme) et le nationalisme, qui bien souvent se trouvent être un collectivisme (cette fois, de nouveau, à ne pas confondre avec le terme collectif). L’ambition de ce présent article est de prouver que cette opposition peut-être dépassée : qu’en même temps que nous puissions restaurer une liberté passée, nous nous débarrasserions au même moment du règne des “Hommes-Masses”. En une phrase, nous visons à quelque chose de semblable à ce que recherchait Ropke, l’Eukosma, The City Of Man, la société caractérisée à la fois par l’ordre et la liberté.
Que pouvons nous donc dire de ce national-libéralisme dont nous nous revendiquons ? Le terme semble obtus, l’exercice difficile. Il nous faut être prudent ; ne pas tomber sur les pavés tremblants d’un Etat Omnipotent, d’une Totalité sociale qui foulera au sol ceux dont elle n’a le besoin, d’un Dieu machine n’ayant d’yeux qu’à dévorer le coeur des hommes.
Le national-libéralisme entend rendre à chaque homme sa place. Ce qu’on nomme national-libéralisme est au prime abord, ce qui semble être un curieux mélange que seuls quelques libéraux et libertariens sont accoutumés à entrevoir. Il reste dans ce que l’on nomme la tradition de l’ordre spontané, mais va plus loin : il est une accumulation de la théorie des phénomènes complexes (qui a servi au domaine de la psychologie, avec l’apparition du connexionnisme), de la dénonciation de l’Homme-Masse (Ortega), de la volonté de réalisation de l’Eukosma, the City of Man (Wilhelm Ropke), du discours de Renan[1] à la Sorbonne, de l’évolutionnisme de Herbert Spencer, et de l’évolutionnisme tout court en général.
Le national-libéralisme entend faire réapparaître donc la morale “buergerlische” (bourgeoise, dans un sens moins péjoratif en allemand), la morale des productifs, du petit bourgeois et de l’artisan, du paysan et du noyau familiale (“la plus petite unité économique” selon Ropke). Notre national-libéralisme semble donc n’être qu’un fastidieux recyclage de quelques pensées d’obscurs philosophes d’antan. Et peut-être y-aurait-t-il une part de vérité dans ses propos.
La restauration de la morale buergerlische, que nous avons mentionné précédemment, a son importance : elle vise à avoir la modernité sans la décadence, le progrès en même temps que les valeurs. Cette fameuse morale, lorsqu’elle disparaît, est remplacée par la fameuse « moraline » de Nietzsche. Cette « moraline », c’est le « grand remplacement » éthique de la civilisation, qui se voit greffer la morale fourre-tout d’un Camp du Bien qui s’accorde à imposer ses vues à l’ensemble d’une société dont il ne comprend pas le fait de sa formation, au détriment d’institutions dites réactionnaires telles que la propriété, la famille, et ses traditions. Par l’Etat-Providence, on les a toutes affaibli, pour « institutionnaliser le prolétariat » (Röpke) au détriment du citoyen lambda. Celui-ci, tôt ou tard, s’effondrera sur son propre poids. La décadence est donc le temps où l’on consomme le capital plutôt qu’on le crée.
Quant à la vision de la nation du national-libéralisme, je publiais il y a plus d’un an aujourd’hui un article sur Contrepoints[2], sur ce que je nommais la “communauté de desseins” en face de la “communauté de destin” qui est revendiqué depuis plusieurs décennies par un grand nombre de nationalistes corses (et que certains considèrent comme la convergence entre le nationalisme et le socialisme, car “anti-impéraliste” : « Pas de régionalisme sans socialisme. Pas de socialisme sans régionalisme » FRC 1968). Le nationalisme de la communauté de destin est donc un interventionnisme, comme une grande majorité des nationalismes. Il revendique la vieille conception de la liberté, comme le faisait en son temps Jean-Jacques Rousseau[3]. Cette liberté dite des Anciens est la possibilité de participation à la vie publique. Ici point de liberté individuelle donc. Cette conception a fort bien été décrite par Isaiah Berlin dans son ouvrage La liberté et ses traîtres :
“Par liberté, Rousseau n’entendait pas la liberté “négative”, le droit pour chaque individu d’agir librement à l’intérieur d’un espace délimité, mais la participation de tous à la puissance publique, laquelle est habilitée à s’immiscer dans tous les aspects de la vie du citoyen.”
Comment notre national-libéralisme s’illustre-t-il ? La “nation de communauté de desseins” entend la conservation de la liberté politique la plus radicale (celle de la plus libre disposition de soi-même), l’ordre de la propriété le plus étendu, la garantie de la langue et de la culture, le retour de la morale buergerlische des productifs, le respect de la paysannerie qui permet de l’auto-approvisionnement alimentaire de la cellule familiale (qu’il est dangereux, voire démagogique de confondre avec le nationalisme économique et l’indépendance alimentaire de l’Etat), la fin du grégarisme. Purement et simplement, le national-libéralisme entend être l’ultime conciliation de la liberté et de l’Ordre, pour ne tomber ni dans la “sous-alimentation sociale”[4] de l’anomie, ni la sur-intégration sociale” du collectivisme.
La société repose donc tout entière sur deux piliers, le consentement et la convention forgée et évoluant : en un mot, sur le “contrat-culture”. Il entend le strict droit de chacun à se regrouper à former une communauté politique, une Cité, par le respect du droit d’association, et par extension, du droit de séparation. Comme tout phénomène complexe, les nations évoluent, bougent, changent, et comme chaque organisme s’auto-régénèrent par des modifications lentes et à la marge qui garantissent leur préservation (si “elles” ne veulent pas s’effondrer et disparaître). C’est la possibilité que laisse le national-libéralisme, celle de la régénération du corps social ; le national-libéralisme, c’est la liberté et le socle.
La question migratoire peut interroger : l’immigration est politiquement sans entrave (encore qu’une clause du “contrat-culture”, en tant que responsabilité de l’institution régalienne, puisse le stipuler), culturellement il en est tout autre : immigration entend l’arrivée d’une population qui ne possède pas le même socle culturel que celui prévalant sur leur sol. A terme donc ne resteront que les populations à même de s’adapter à leur nouvel environnement. Ainsi, comme nous l’avions écrit :”La problématique du droit du sol et du droit du sang est abandonnée (…) pour lui préférer le (…) concept de droit du contrat” ; et ainsi, la population est d’abord accepté par le contrat, puis intégré par son assimilation au Corps par la culture qui est transmise comme un héritage de son nouvel habitat.
Le national-libéralisme ne promet donc pas le paradis sur Terre : mais il déclare la nécessité, à la fois d’une vie de liberté et d’une vie auprès des siens, comme le stipule tout l’équilibre des contraires.
[1] : Ludwig Von Mises, Le Gouvernement Omnipotent : “Qu’est-ce qu’une nation ? prononcée à la Sorbonne le 11 mars 1882 est tout entière inspirée par la pensée libérale [1]. Ce fut le dernier mot prononcé par le vieux libéralisme occidental sur les problèmes de l’État et de la nation.
Pour comprendre correctement les idées de Renan, il est nécessaire de se souvenir que pour les Français — comme pour les Anglais — les termes nation et État sont synonymes. Quand Renan demande : Qu’est-ce qu’une nation ? il veut dire : Qu’est-ce qui doit déterminer les frontières des divers États ? Et sa réponse est : ce n’est pas la communauté de langue, ni la similitude de race fondée sur l’ascendance d’ancêtres communs, i l’appartenance à une même religion, ni l’harmonie des intérêts économiques, ni des considérations géographiques ou stratégiques, mais le droit de la population à déterminer sa propre destinée [2]. La nation est le produit de la volonté d’êtres humains de vivre ensemble en un État [3]. La plus grande partie de la conférence est consacrée à montrer comment naît cet esprit de nationalité.”
[2] : https://www.contrepoints.org/2016/08/19/263313-on-parler-de-communaute-de-destin
[3] : « Je veux en un mot que la Propriété de l’État soit aussi grande, aussi forte et celle des citoyens aussi petite, aussi faible qu’il est possible. » Jean-Jacques Rousseau, Projet de Constitution pour la Corse
[4] Wilhelm Ropke, La crise de notre temps : “La sous-alimentation sociale est une maladie typique de la société qui se décompose lentement en individus solitaires, manquant d’une ambiance de saine solidarité et perdant le sentiment d’occuper une place définie dans la société avec leurs droits et aussi leurs devoirs et qui, de ce fait, se sentent de moins en moins intégrés dans la grande et la petite communauté.”
“Si l’on veut obtenir cette densité moléculaire sociale, indispensable au collectivisme, il semble que l’on soit obligé de toujours stimuler des sentiments négatifs, qui sont dirigés contre quelque chose ou contre quelqu’un ; et lorsqu’il n’existe pas des cibles réelles pour la haine ou des motifs de crainte, il faut les inventer. Dès que l’on veut faire du socialisme un état permanent et normal, il faut un Etat capable de maintenir l’indispensable surintégration de la société par des moyens matériels, sans tremblements de terre et sans inondation.”