Par Chuck Noel,
Introduction
The Walking Dead est une des séries les plus populaires de la décennie. Après, déjà, plus de 6 saisons, l’engouement bat toujours son plein. Au delà du succès de la série -adaptée du comics du même nom -et de sa chasse aux zombies, c’est une véritable critique de notre monde, de nos sociétés, mais aussi et surtout de nos modes de Gouvernement.
L’auteur, Robert Kirkman, ne s’en cache même pas, son œuvre est une critique ouverte des Gouvernements et plus largement de l’État. Au travers de ce monde apocalyptique, il s’agit de replacer l’individu aux sources. Un retour à un certain état de nature dans une lutte à la survie. L’individu doit faire des choix, parfois difficiles. L’individu cherche à palier à l’incertitude liée à cet état de nature, alors par nécessité, parfois par affinité, il va choisir de s’allier à d’autres individus. Ce qui va former un noyau de Société, in extenso, un noyau d’État. Si parfois cette alliance peut être heureuse, dans l’hypothèse où celle-ci s’est contractée librement et spontanément, elle n’en est pas toujours ainsi. En effet, beaucoup de biais se mettent sur la route des individus, qui les éloignent toujours un peu plus de leur libre-arbitre, de leur Liberté.
On retrouve un certain nombre de ces cas d’école dans l’œuvre de Kirkman, que ce soit autour de la tyrannie du gouverneur ou encore celle de Rick à lors du passage de la prison. C’est toujours le Pouvoir qui dégénère, notamment lorsqu’il a été imposé par la force, le fait qu’il ait été élu, n’éloigne en rien ces risques de dégénérescences. C’est ce qui fera l’objet de notre analyse.
Il s’agira d’analyser principalement l’épisode 1 de cette nouvelle saison 7, en ce que Negan, le nouveau de la série s’impose à Rick et son groupe de survivants. Ne peut-on pas, ici, y voir la conclusion d’un contrat –social-unilatéral coercitif, entre Negan et les rescapés ? Plus largement, il s’agirait de se poser la question de la formation d’un État ? Puis de savoir comment ce nouvel État va pouvoir se pérenniser, notamment lorsqu’il s’est imposé autoritairement ?
Negan s’imposera par la force (I) en réduisant, notamment, en servitude la Rick et son groupe. S’imposer ne suffit pas, il faut pérenniser l’état de servitude, pour cela Negan usera de divers stratagèmes pour s’y assurer (II), notamment par le biais d’un conditionnement pour rappeler qu’il est élevé au rang de divinité (III). Negan et sa batte Lucille sont la métaphore de l’État.
I –La formation du Contrat : aux origines de la servitude.
Comme le disait Hobbes : « L’Homme est un loup pour l’Homme ». Aristote, sous l’Antiquité évoquait une « guerre de ressources ».
L’Homme se battrait initialement pour se disputer des ressources, c’est tout du moins ce que prétendent les tenant du « Contrat social » qu’on qualifiera, désormais, de contrat coercitif. C’est à dire un contrat qui se trouve à l’opposé du contrat social librement consenti de commun accord qu’on pourrait retrouvait, par exemple, chez John Locke.
C’est ce qu’on retrouve dans la scène clôturant la saison précédente et prolongé dans ce premier épisode de cette saison 7. Des personnages principaux agenouillés et entourés d’hommes armés, dont le chef de cette troupe : Negan.
Replaçons-nous dans le contexte, Negan et son groupe plutôt que commercer avec les autres clans de survivants, ont choisi la voie de la violence, en soumettant et pillant par le biais, notamment de l’impôt, les ressources de clans soumis.
Rick et sa bande (qui n’est pas si clean que cela, accordons-le-nous) vont passer un traité commercial avec la Colline. Contre un certain nombre de vivres, Rick et sa bande s’engagent à mettre fin aux spoliations violentes de « Negan ». Part du contrat qu’ils respecteront.
Petite parenthèse, par ce traité, on voit bien qu’un consensualisme ou encore –l’ordre spontané- peuvent fonctionner. On remarque que les deux groupes forment une alliance commune, pas seulement combattre un ennemi commun mais aussi pour forger une alliance commerciale durable.
Traduction : une paix et une prospérité durable. Les deux groupes cohabitent et comme deux porc-épic en hiver. (pour reprendre la parabole de Schopenhauer) S’ils ont froid, ils vont se rapprocher, mais la douleur de leurs pics respectifs les oblige à s’éloigner, jusqu’à qu’ils aient de nouveau froid, etc.
Pour reprendre notre propos, après avoir vaincu dans le sang, un certain nombre de membres de chez Negan, la bande de Rick finit par tomber dans une embuscade. Les personnages se retrouvent ainsi prisonniers de Negan. Celui-ci, dans son auguste sollicitude, va décider d’épargner certains de nos compagnons. En effet, Negan, dispose d’un droit de vie et de mort sur les autres, matérialisé par sa batte de baseball « Lucille ». Il condamnera à mort un des compagnons pour « l’exemple ».
Cette « brutalité » n’a rien d’anodine, il s’agit en réalité, de soumettre le groupe de Rick à son engeance. C’est ce qu’on pourrait assimiler au fameux contrat social unilatéral de soumission.
Le Léviathan (Negan) impose ses règles : « signez le contrat social ou mourrez ! ». Il est difficile de ne pas penser au comportement du Léviathan décrit par Hobbes, en suivant ce syllogisme fallacieux : « Comme l’Homme est en état de guerre perpétuel dans l’état de nature. Il doit alors s’annihiler au Léviathan, par le biais d’un contrat unilatéral de soumission. Seul moyen, pour, l’Homme, d’être enfin en paix. » Ce n’est rien d’autre que l’État, sous sa forme la plus totalitaire. Idée qui sera reprise, après Hobbes, par Rousseau de manière plus subtile.
Si jamais un quelconque signe de dissidence s’amenait à se présenter, le mauvais membre, de ce qui constitue désormais le « corps social » sera détruit. Dans la scène tragique où Negan exécute son horrible sentence sur Abraham, au passage, exécuté arbitrairement.
L’État dispose du droit de vie et de mort sur vous, y compris lorsqu’il se présente comme un État de droit. Il n’y a qu’à prendre, parmi les nombreux exemples donnés par l’Histoire, l’exemple des fusiliers pour l’exemple durant la Guerre 14-18.
Abraham a été choisi, non pas parce qu’il était « rouquin » comme l’a affirmé Negan, mais parce qu’il l’a défié du regard. Par ailleurs, le « Suck my nuts » confirme très bien le fait que Negan l’a exécuté pour sa défiance.
Ainsi, cette scène permet de constater le fait que l’État a horreur de la concurrence. Toujours, est-il, que pour éviter ce genre de désagrément l’État a besoin d’une dévotion totale de la part de ses nouveaux adhérant, surtout lorsque ces derniers ont trop longtemps goûter à la Liberté. Il faudra alors les briser !
II –La mise en œuvre du Contrat : une anihliation totale de l’individu
Negan ne peut pas tuer tout le monde. Par ailleurs, quelle raison d’être aurait un État sans individus à soumettre ? Il doit, cependant, avant de les soumettre, faire accepter la servitude à tous.
Quel meilleur moyen que le reconditionnement psychologique par la terreur. Dans l’épisode, tout cela s’analyser autour du regard de Rick, qui va constituer l’axe principal de l’épisode. D’abord, on constate un regard de défi qui s’accompagne avec des menaces de morts à l’encontre de Negan. Rick veut se venger après que Negan en est fini de ces basses-œuvres. Ce dernier sera mécontent du ton de défiance pris par Rick. N’a-t-il pas retenu la leçon avec la mort d’Abraham ? Ne l’a-t-il pas aussi retenu, lorsque Daryl a osé se révolter coûtant indirectement la vie à Glenn ? Negan emmène donc l’ancien policier pour un tour en caravane afin de lui faire changer les idées.
La scène de la caravane est marquée par plusieurs points notables :
Tout d’abord, le désarmement de Rick, Negan lui a pris sa hachette. En autre, Negan rappelle à Rick, que désormais, il est nu sans son arme. Cette dernière est, dès lors, propriété de Negan. Dans sa perfidie, le fou à la batte de baseball exhibe son attirail, lui il est armé, Rick ne l’est pas.
Cette partie de cette scène, représente l’allégorie d’une Société –préalablement – désarmée par l’État. Une Société désarmée est une Société exposée, donc une Société soumise à un État s’octroyant le droit à la violence « légitime ». Par cette « violence légitime », l’État de facto va étouffer toute tentative de révolte. Une Société désarmée est une Société qui ne se défend pas.
Puis, c’est la question de la Propriété qui se pose. En effet, Negan va toucher à ce point sensible en rappelant à Rick que plus rien ne lui appartient. Tout désormais appartient à Negan, autrement dit à l’État Léviathan.
Comme tout propriétaire, il dispose comme bon lui semble de ses biens, le fait que Negan lance la hachette, à l’extérieur de la caravane au milieu des morts-vivants, tout juste spoliée à Rick, en est un exemple flagrant. La logique va plus loin, puisque va se poser également la question de la condition des individus. En effet, Negan va creuser plus loin son raisonnement de spoliateur, aussi détraqué qu’il soit, si les choses de la bande de Rick ne leurs appartient plus, leur propre personne, c’est à dire dire leur individualité leur appartienne plus aussi ! Désormais, tel un servage Rick et les rescapés sont les serfs de Negan. Autrement dit, bien qu’ils n’aient pas de chaînes autour du cou, ils sont moralement réduits en esclavage. Toute tentative de résistance équivaudra à la peine capitale.
On retrouve cette subordination poussée à l’extrême dans les contrats sociaux de Hobbes et Rousseau, les Hommes appartenant ad aeternam à l’État, à moins d’y mourir physiquement –voir socialement (mort civile). Tout devient ainsi, un « corps un et indivisible » propriété exclusive de l’État. Dans la série « Alexandria » (NDRL : La communauté de Rick) devra « louer ses bras » pour le compte de l’État-Negan, c’est à dire lui fournir une quantité de ressources données en travaillant gratuitement pour Negan.
La métaphore de la perte de la propriété de leur propre personne des membres de la communauté d’Alexandria se retrouve, également, dans ce passage où Negan lance, la hache spoliée au milieu des morts-vivants et demande à son Rick –esclave d’aller la cherche, à peine d’une mort pour lui et les siens. Notons toujours la disproportion dans les menaces de l’État sur ses sujets. Rick s’exécutera, après quelques hésitations.
Negan n’est pas satisfait, Rick semble toujours le défier, la violence physique et la dissuasion semblent ne plus fonctionner. Il faut alors passer par un conditionnement psychologique.
On peut, également se poser la question lorsque l’homme à la batte massacre Abraham et Glenn, ne dispose pas t-il de ses nouveaux biens ?
Rousseau dans son « Contrat social » imaginait que pour atteindre sa « Société parfaite », il fallait passer par un changement de la nature même des êtres humains, à l’image des États totalitaires. Dans tous les cas, l’État se veut être, au moins en partie, le chef d’orchestre de la vie des individus.
Negan a très bien compris la chose, l’épisode se conclut par une-ultime-torture psychologique pour Rick et par ricochet aux rescapés de la folie de Negan : faire trancher le bras de Carl par son propre père, Rick.
C’est à ce moment crucial de l’épisode, que le regard de Rick s’est décidé de changer, en passant d’un regard de défiance, à un regard perdu et apeuré. Negan a gagné son pari, le changement de nature est opéré.
Pour Rick et les autres rescapés la soumission à l’État-Léviathan est acceptée. Un peu comme le chien de Pavlov, le tyran se retrouve propulsé en divinité à qui on lui doit, désormais, un reflexe d’obéissance. C’est ainsi qu’on change la nature de l’Homme.
On peut encore assimiler la méthode de Negan à des sessions accélérées d’auto-suggestion, où on fait en sorte de persuader que les individus sont des vauriens sans raison d’être, hormis celle de servir l’État-Negan. C’est par ce biais, aussi, que débute le Culte de la personnalité à l’État.
III –La pérénisation de la servitude : entre culte de la personnalité et société de caste.
On remarque qu’il semble ressortir de Negan et sa troupe est l’existence d’une Société de castes, avec au sommet, bien entendu, Negan, qui tel un Dieu pharaon, va déléguer la gestion courante de son royaume à son grand prêtre qu’il nomme « bras droit ».
Puis on retrouve en dessous, les hommes d’armes entourant Negan et les rescapés.
On pourrait assimiler ces derniers à une sorte de noblesse « d’arme » qui semble jouir de certains privilèges comme, par exemple, une part du fruit des butins des spoliations menées par Negan.
Au niveau inférieur, on retrouve certainement les hommes « libres » ou le Peuple qui ne jouissent d’aucun privilège, hormis le prétendu privilège d’être sous la protection de Negan. Ce sont ceux qui se sont fait abattre lors des « raids » lancés par « Alexandria » contre Negan, suite à l’accord conclu avec la Colline, à la fin de la saison 6.
Enfin, tout en bas de la pyramide, on retrouve, les serfs-esclaves qui n’ont aucun autre droit que celui de « louer leurs bras » gratuitement pour le Dieu-État Negan.
C’est ce qu’on voit pour toutes les sociétés confrontées à un État omnipotent, on constate ce paradigme tout au long de l’Histoire. On pourrait, par exemple, évoquer la hiérarchisation au sein de l’URSS, sous Staline. Notamment, avec une caste de fonctionnaires au sommet et une caste de prolétaires constituant la base. Étienne de la Boétie dans son « Traité sur la Servitude volontaire » décrit cette division sociétale. Or, ce que de la Boétie avait déjà relevé au 16ème siècle, c’est qu’il en ressort que les « privilégiés » ne jouissent en réalité d’aucune prétendu sécurité et stabilité, puisque : « Moi l’État, je suis le peuple », donc « moi Léviathan, je peux toujours reprendre tout ce que je donne ». En d’autres termes, un tyran peut autant atteindre ses « proches » que ses esclaves. Dans notre cas, tout le monde est en sursit avec Negan.
Le prolongement de cette constatation serait la dépendance matérielle qui va probablement se créer, dans la mesure où la force de travail ou bien la dévotion donnée à Negan, sera l’occasion de faire oublier l’état de servitude.
Le mensonge y joue aussi beaucoup, puisque Negan a appelé son clan « les sauveurs », nom évocateur quand on sait ce que lui et son clan font. Toute, la perversité réside ici, en choisissant ce nom, Negan prétend poursuivre une juste cause, ses subordonnés obnubilés par ce dernier deviennent persuadés que servir le Léviathan c’est servir une juste cause. En résumé, « L’ignorance, c’est la force » ; « La guerre, c ‘est la paix » ; « l’esclavage, c’est la Liberté », pour reprendre les célèbres oxymores de 1984 de Georges Orwell.
Le Léviathan est une divinité, tous devront lui vouer un culte. C’est ce qui semble être manifestement le cas avec Negan, où ses hommes de main le suivent aveuglément. Le Pouvoir, l’État autrement dit dans notre cas, Negan, devient quelque chose de mystique, presque magique, dont la critique vaudrait une mort certaine.
Or, comme l’aime, le rappeler Étienne de la Boétie, que s’il y a un tyran, c’est qu’il a bien des individus qui acceptent, malgré tout, de se faire tyranniser. Si le tyran est seul, il y a, en revanche, une multitude d’individus. Si cette multitude acceptait tout à coup de ne plus suivre le tyran, ce dernier ne sera que seul tyran de lui même. Ainsi, si tous se révoltent contre Negan, celui-ci ne ferait pas long feu. Les tyrannisés, à l’image, des prolétaires dans « 1984 » de Georges Orwell, s’ils n’étaient pas préoccupés par de futiles illusions, n’auraient qu’à désobéir pour ainsi mettre à terre le Léviathan-Negan.
Plus largement, la raison d’être du pouvoir coercitif c’est, justement, qu’il maintient ce pouvoir sur des individus qui acceptent bien d’obéir. Si ces individus acceptaient de ne plus obéir, le pouvoir coercitif deviendrait alors sans objet.
Malheureusement, nous sommes très loin de ce schéma. À moins que tous tombent dans un profond désespoir et qu’il n’aurait plus rien à perdre, comme l’est Maggie après la mort de son compagnon Glenn. Dans tous les cas, peu d’espoirs de voir un jour les tyrannisés (re)prendre leur destinée d’individu libre en main, pour, enfin être eux-mêmes.
À moins, peut-être, que cette dénonciation des modes de Gouvernement coercitifs portés par la série « The Walking Dead ». Il s’agit une des premières du genre ayant un succès planétaire, tout comme la série satyrique « South Park ». On ne pourrait qu’espérer que ce succès suscite un électrochoc à ces brebis trop longtemps habituées à suivre tête baisée le reste du troupeau. Le simple fait qu’elles lèvent leur tête, serait un très bon début. Pour un retour de l’individu aux sources, c’est à dire vers lui même !