Par Chuck Noel,
Aux origines obscures de ce mécanisme de coercition administrative du propriétaire.
Les servitudes d’urbanisme ont pour origine le régime de Vichy et une Loi du 15 juin 1943 relative à l’urbanisme, comme beaucoup d’actes normatifs, l’État a décidé de maintenir ce mécanisme des servitudes d’urbanisme lors de la Libération. En effet, cette législation des servitudes d’urbanisme sera le résultat d’un retrait extrême du droit de propriété, concrétisé par la Constitution de 1946, et notamment par son préambule.
Les servitudes d’urbanisme correspondent à des charges pesant de plein droit sur des terrains ou des bâtiments, prenant la forme de prescriptions imposées, principalement, par les documents d’urbanisme, qui correspondent à la limitation, à l’interdiction totale de l’exercice au propriétaire grevé d’une servitude de son droit de propriété ou par des travaux imposés (par exemple la réalisation de logements sociaux).
Elles sont régies par le Code de l’urbanisme, et ne représentent que la partie émergée de l’iceberg des servitudes administratives qui vont s’appliquer dans une multitude d’autres domaines, par exemple l’environnement. La particularité de ces Servitudes, c’est qu’elles reposent sur un principe de non indemnisation !
Le principal argument en faveur de cette législation de la servitude d’urbanisme était, celui de la préservation des deniers publics, en évitant de voir la responsabilité sans faute de l’Administration engagée. (NDRL. Lorsqu’elle réalise et met en œuvre des objectifs dit d’intérêt général).
Le principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme : un facteur de déchéance de la propriété privée.
Ainsi, le régime des servitudes d’urbanisme est totalement régi par un principe de non indemnisation posé par l’article L105-1 du Code l’urbanisme. Il empêche toute indemnisation de principe, lorsque l’Administration décide unilatéralement dans ses documents d’urbanisme de porter une atteinte manifeste au droit de propriété.
Si cet article L105-1 du Code de l’urbanisme pose un principe de non indemnisation, le régime des servitudes d’urbanisme reste tout même assortie de situations légales –exceptionnelles- où l’indemnisation du propriétaire lésé sera possible. Il s’agit de l’atteinte aux droits acquis, ou par une modification de l’état antérieur des lieux. Dans les faits ces situations n’arrivent pratiquement jamais.
Une question de constitutionnalité plus que douteuse du régime des servitudes d’urbanisme.
La question de la constitutionnalité d’un tel mécanisme s’est rapidement posée, ne serait-ce qu’à l’égard des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui rappelle le droit naturel de Propriété, notamment par la « juste et préalable indemnisation » imposée à l’Administration en cas d’atteinte au droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel, refusera de censurer cet article L105-1 du Code l’urbanisme (anc. 160-5 Code de l’urbanisme), en opérant assez maladroitement à une distinction, entre une privation du droit de propriété fondé sur l’article 17 DDHC, de l’atteinte à l’exercice du droit de propriété fondée sur l’article 2 DDHC. Dernière atteinte ne donnant pas lieu à indemnisation automatique, d’après le Conseil constitutionnel. Le juge constitutionnel s’est limité à la simple évocation sans plus de précision de l’article 2 DDHC pour fonder la constitutionnalité de la non indemnisation de l’atteinte au droit de propriété. En d’autres termes, le Conseil constitutionnel a inventé une contradiction dans la DDHC. Interprétation d’autant plus dangereuse car elle permet dans certaines situations, qui privent pourtant le propriétaire d’une partie de sa propriété, d’écarter, ainsi, la juste et préalable indemnisation. Ce fut le cas pour les transferts d’office des voies privées ouvertes à la circulation publique. (Cons. const,. 6 octobre 2010, n°2010-43QPC). La question de la rupture de l’égalité devant les charges publiques qui découle du principe d’égalité devant la loi. (Cons. const., 12 juillet 1979, n°79-107 DC), aurait pu également se poser, puisque la servitude d’urbanisme peut priver une partie plus ou moins étendue du droit de propriété dans une zone définie, pouvant créer une distorsion ne serait-ce dans l’exercice du droit de propriété, mais aussi, au niveau du foncier. Ainsi, deux parcelles limitrophes peuvent se retrouver avec un foncier totalement opposé, entre une zone constructible et inconstructible.
En d’autres termes, la Liberté la plus totale est laissée aux Collectivités publiques pour imposer des servitudes d’urbanisme, sans qu’elles aient à aucun moment le critère de sa responsabilité retenu.
Un droit international très circonspect face à la légitimité de ces mécanismes.
La question de la validité de ce principe de non indemnisation, s’est également posée au niveau du droit international, si le droit communautaire souhaite rester neutre dans la gestion du droit de propriété des États membres, le droit de la convention européenne des droits de l’Homme, est en revanche plus circonspecte. En effet, si le juge de la CEDH admet une grande de manœuvre aux États membres du Conseil de l’Europe, il a très vite posé des limites à la réglementation de la propriété, notamment dans la réglementation des servitudes d’urbanisme. Ainsi, la jurisprudence de la Cour. EDH dans un arrêt de 1994 (CEDH, Katte Klitsche de la Grange c/ Italie, req. n°21/1993/416/495) a tenu de rappeler que si l’instauration d’une telle servitude ne pouvait qu’être temporaire à défaut, il fallait indemniser le propriétaire. Le Conseil d’État Français n’avait d’ailleurs, pas tarder à agir pour tenter d’aligner le droit français aux recommandations du juge de Strasbourg. Ainsi dans une décision de 1998 (CE, 3 juillet 1998 Bitouzet, req. n° 158592) a rajouté une nouvelle exception au principe de non-indemnisation des servitudes d’urbanisme. Concrètement, il ne faut pas que « le propriétaire supporte une charge, spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l’objectif d’intérêt général poursuivi. »
Tout comme les deux exceptions légales prévues par l’article L105-1 du Code de l’urbanisme, dans les faits, cette nouvelle situation « à indemnisation » relève presque du cas d’école. Puisque le juge administratif n’indemnise quasiment jamais, obsédé par l’idée de préservation des deniers publics.
La France est très loin de garantir le droit de propriété, comme on le prétend couramment, à titre d’exemple, en droit comparé, le droit américain admet une indemnisation de principe dès lors que la servitude d’urbanisme laisse le propriétaire « sans utilisation économique ou productive de son bien » (R. HOSTIOU, Études foncières, décembre 1994, p. 29.). Dans tous les cas, le principe de non indemnisation est à la fois inconventionnel et inconstitutionnel. L’ombre de la CEDH rôde toujours.
Ce qui fait que l’article L105-1 du Code de l’urbanisme reste toujours en vigueur, c’est l’octroi aux propriétaires de certaines facultés, pour nous insuffisantes et toujours d’autant plus attentatoire au droit de propriété. En d’autres termes, le propriétaire grevé d’une servitude d’urbanisme, dispose de peu de marge de manoeuvre pour se sortir d’une servitude d’urbanisme. Le droit français, n’offre que très peu d’outils au propriétaire, il ne reste que pour lui, et dans certains types précis de servitudes (Servitudes de logements sociaux), d’user d’un droit de délaissement.
Une marge de manoeuvre asphéxiante laissée aux propriétaires concernés par les servitudes d’urbanisme.
Lorsque le propriétaire est grevé d’une servitude d’urbanisme prévus par les articles L152-2, L311-2 et L421-1 du Code de l’urbanisme, il dispose d’un droit de délaissement qui lui permet de délaisser son bien et de mettre en demeure la Collectivité publique auteure de la servitude d’urbanisme de lui acheter.
Outre sa portée limitée, il s’agit pour la Collectivité locale, tout simplement, pour éviter à exproprier, elle-même, et ainsi de s’éviter la lourde procédure d’expropriation, notamment son enquête publique, et le recours au préfet de département pour la « déclaration d’utilité publique », de prescrire des servitudes d’urbanisme très prescriptives, rendant l’utilisation de la parcelle, quasi-impossible, voir impossible, du fait de la dévaluation de la valeur de la parcelle visée. En effet, la Collectivité locale dispose d’une très grande marge de manoeuvre. Ce droit de délaissement, qui est une expropriation qui ne porte pas ce nom, fait que la France n’a pas encore été condamnée par la Cour EDH.
Ce qui nous paraît léger compte tenu du fait que ce droit de délaissement ne soit pas assorti d’un droit de rétrocession, c’est à dire pourvoir récupérer son bien assorti d’indemnités, lorsque par exemple la Collectivité publique ne l’use pas conformément à l’usage prescrit par la servitude d’urbanisme. Le Conseil constitutionnel refusera ce droit de regard légitime du propriétaire, en estimant que ce droit délaissement constituait une garantie suffisante vis à vis de l’atteinte faite au droit de propriété. (Cons. const., 21 juin 2013, n°2013-325 QPC) Sans compter, le fait que le prix de vente –fixer judiciairement en cas de désaccord – ne tient pas compte du préjudice économique subit par la personne touchée par la servitude en question.
Des solutions transitoires à la problématique des servitudes d’urbanisme.
Face à cette situation figée, pour ne pas dire limitée, pour les propriétaires. La Propriété n’est t-elle pas « la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui puisse s’opposer au pouvoir », comme le disait Proudhon en 1862 dans sa « Théorie de la propriété » ?
Si nous ne voulons pas tuer ce rempart contre l’arbitraire, il nous faut changer de régime, notamment dans le domaine des servitudes d’urbanisme, en mettant en avant de véritables garde-fous aux propriétaires. Comme un principe d’indemnisation ou encore accentuer l’urbanisme contractuelle qui reste très laconique. Prenons l’exemple des Projets urbains partenariaux (Issus de la Loi MOLLE n°2009-323 du 25 mars 2009), qui avaient pour ambition de permettre un co-financement public/privé des équipements publics nécessaires aux besoins de la population, dans un périmètre déterminé. Ce partenariat, reste corroboré d’incertitudes à l’égard des personnes privées, notamment, en ce que l’Administration –dans les faits -peut imposer des financements contre l’octroi de permis de construire, dans des zones initialement inconstructibles.
Pour en revenir aux palliatifs à apposer au régime des servitudes d’urbanisme :
Il serait envisageable dans un premier temps de créer un fond spécial d’indemnisation, qui serait une taxe (temporaire) sur les plus-values, afin collecter un fond suffisant pour indemniser tous les propriétaires grevés d’une servitude d’urbanisme et sans que cela touche aux fameux « deniers publics » évoqués au début.
Dans un second temps, reposer les règles de la servitude d’urbanisme, en proposant des mécanismes plus consensuels et protecteurs des propriétaires. Cela par un développement d’un urbanisme contractuel égalitaire fondée sur une Liberté contractuelle entre personnes privées et personnes publiques. On pense déjà aux mécanismes contractuels qui existent déjà outre atlantique, comme les « conservations easements » étasuniennes. Ces « consevations easements » sont des contrats par lesquels le propriétaire d’une parcelle en contrepartie d’une somme d’argent ou d’avantages fiscaux, va donner à bail ou vendre l’Administration une partie de la constructibilité de son terrain à l’Administration. Ici, la personne publique est vue comme un cocontractant comme les autres. Cela permettra, dans un autre sens, de limiter la portée des pouvoirs des collectivités publiques qui devront réfléchir à deux fois avant de mettre en place des servitudes d’urbanisme, sur du non bâti en l’occurrence.
Dans tous les cas, il faudra se contenter de faire une projection sur le long terme avant de voir de telles réformes. Si la France dispose d’une Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen, elle reste, comme son nom l’indique que déclarative. Alors qu’elle ne fait que rappeler les droits naturels inhérents de la vie des individus.
Comme le dit Chateaubriand dans cette formulation limpide :
« La propriété héréditaire et inviolable est notre unique défense personnelle : la propriété n’est autre chose que la Liberté ».