De la Boetie et la servitude : une mise en garde bonne de sens. (Partie 2)

Par ChuckNoel,

II –Les modalités de la servitude

 

Nous avons vu comment la Servitude émerge, qu’elle est tout sauf naturelle et qu’il était simple d’en sortir. Malheureusement cet axiome se retrouve difficile à mettre en œuvre puisque le Tyran dispose de tout un attirail peut se maintenir en place. Étienne de la Boétie va détailler ce procédé au maintien de la servitude, il s’inscrit dans la lignée de Machiavel qui dans le Prince (V. aussi P1) avait donné conseil au prince pour se maintenir en place. Sauf que pour de la Boétie, il s’agit clairement de dénoncer ces méthodes et de s’en prémunir.

La servitude repose sur 5 piliers cumulatifs sans quoi elle n’aurait plus de raison d’être. De la Boétie donne le mode d’emploi pour sortir d’une servitude. Par ces piliers, il s’agit aussi de voir les faiblesses de la servitude. C’est une façon de démontrer que la servitude est en réalité un état très fragile, toutefois comme tout homme il n’a pu tout prévoir.

 

A –La coutume

 

L’idée de servitude s’installe lorsqu’elle commence à imprégner les esprits c’est à dire lorsque les individus préalablement manipulés et nivelés par le bas par l’Éducation sont persuadés que la servitude est un état naturel. Cela fonctionne difficilement pour la première génération qui sans force, peur et manipulation continue de la part du ou des tyrans, feraient retourner en liberté les individus. En revanche lorsque la servitude commence à se pérenniser à partir d’une seconde génération. La servitude commence à devenir coutume et la règle. De la Boétie décrit cela au travers du sultanat de l’empire Ottoman où chacun croit qu’il est né seulement pour servir le Sultan, le flatter ou encore mourir pour lui. Ainsi, sans connaissance d’un quelconque état naturel de Liberté, la servitude devient la norme (Voir aussi. P1). Les individus restent persuadés qu’il en est ainsi, à tort. Tout cela est renforcé artificiellement par l’éducation. Car on le sait très bien qu’une personne, y compris sous servitude est près à tout pour négocier sa Liberté. La coutume seule est impuissante, car la Raison finirait toujours par reprendre le dessus. Les autres piliers de la servitude en sont donc indispensables.

 

 

B –Du pain et des jeux : l’étendard de la servitude.

La ruse est également un élément fondamental de la servitude, le tyran doit distraire pour maintenir cet état de fait précaire : deux techniques indissociables sont décrites par de la Boétie : la distraction par les jeux et la dépravation (1) et le pain pour renforcer cet état de servitude et ainsi cultiver cette illusion dans l’illusion (2). Nous les traiterons séparément par soucis pratique.

 

1 –Jeux et dépravations : une déresponsabilisation des individus.

 

La dépravation est sûrement un des thèmes les plus évoqués pour désigné un état de servitude, en passant par le despotisme doux d’Alexis de Tocqueville, ou encore par le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. De la Boétie n’est pas le premier à mettre en avant cette idée de « dépravation », c’est l’essence même de l’idée de Tyrannie. On est en Tyrannie parce que le Tyran mène une vie privée licencieuse et cette Tyrannie est renforcée lorsque le Peuple devient lui même licencieux.

En effet, la servitude pour se pérenniser à besoin que les populations soient détournés d’éventuelles prises de conscience de l’état de servitude, comme on le disait la coutume n’a pas vocation de durer, il faut dès lors utiliser de la « morphine » pour asseoir cet état de servitude. Concrètement cela se traduit par une incitation voire une obligation à la dépravation, de La Boétie décrit l’histoire d’un tyran qui rendit obligatoire le passage dans les maisons closes de tous les hommes en âge. Le jeu également est important, sa démocratisation permet de distraire la population asservie. Distraction est l’arme du tyran, une population distraite n’aura jamais à l’esprit une idée de Liberté, puisque trop occupée dans la médiocrité.

Alexis de Tocqueville décrira ce phénomène dans la « Démocratie en Amérique » en 1835, en effet ce pilier de la servitude n’est pas propre aux régimes autoritaires mais existe aussi dans les régimes démocratiques, c’est d’ailleurs une des perversions de la démocratie pour Tocqueville, teinté d’égalitarisme le citoyen détourné des affaires de la cité laisse en quelque sorte le pouvoir à une oligarchie. Il ne s’était pas trompé pour les Etats-Unis, nous y reviendrons à la fin.

 

2 –Du pain pour renforcer le lien de subordination

 

Le pain est indivisible de la dépravation et des jeux comme moyen de domination. En effet, l’abondance ou du moins la pseudo abondance est un des moyens de domination du tyran. De la Boétie, en avance sur son temps décrit assez bien ce pilier de la servitude, le tyran faisait en sorte que la population manquait de rien et devait faire en sorte d’organiser des banquets publics. Il prend le judicieux exemple de Jules César qui utilisa la doctrine du « pain » pour mieux faire passer les attentats à la Liberté jusqu’à ce que le Peuple l’aime jusqu’à se révolter après son assassinat, sauf, que cette distribution de pain était faite sur l’argent de ce même peuple. De la Boétie donne une première définition de ce qu’on appellera plus tard Socialisme. Le Schéma est très simple, l’impôt et les taxes sont prélevés auprès de la population et une partie des recettes générés par ces impôts est redistribuée sous forme de banquet ou autre distribution s’affichant charitable. La population ignorant bien entendu, qu’on la tond pour lui revendre la laine qu’on vient de lui prendre. Ce pilier est toujours d’actualité, on peut prendre un exemple très récent en France, en janvier 2016 une commune décida d’organiser une « galette des rois ». On sait désormais très bien comment ces Libéralités sont financées.

 

C –L’usurpation de titre

 

L’usurpation est la base de tout despotisme, le tyran se prétend toujours du peuple pour mieux le dominer. De la Boétie utilise l’exemple des empereurs romains qui se faisaient appelés « tribuns du Peuple ». Cette usurpation ne se limite pas aux autoritarismes, encore à l’époque romaine on peut encore parler du Sénat républicain mais aristocratique qui se prétendait lui aussi du Peuple. On peut renvoyer cela aussi à la notion de Tyran d’origine (V. P1). Ce pilier de la servitude reste inopérant sans le pilier suivant : la mystification du pouvoir.

 

D -La mystification du pouvoir : le ciment de la servitude.

 

La mystification du pouvoir est le pilier fondamental, si ce n’est pas le ciment de la servitude. En tout temps, toute tyrannie a eu besoin de s’imposer et cela passe indéniablement par la mystique. Il faut donner une dimension surnaturelle à la Tyrannie, de la Boétie décrit que dès l’Égypte ancienne le pharaon était considéré comme un dieu et pour renforcer cette considération ce monarque se montrer au public quetrès peu. On peut penser dans une moindre mesure à la doxa absolutiste qui disait que le roi devait légiférer peu, qu’il serait indigne de sa personne de s’occuper des affaires courantes du Royaume. Cette idée sera reprise sous la Vème République avec la personnification de la présidence de la République. Cette mystique qui se fonde bien évidemment dans tous les cas sur l’ignorance et c’est pour cela malgré tout qu’elle reste indissociable aux autres piliers notamment la coutume.

 

Toutefois, on peut néanmoins souligner la faiblesse de l’argumentation de la Boétie qui se contente qu’à désigner un pouvoir visible et physique autrement dit un tyran en chaire et en os.

En effet, d’autres tyrannies plus sont beaucoup métaphysiques puisque le tyran n’est pas à proprement dit un homme mais une entité abstraite, bien qu’il ait toujours des hommes derrière cette entité. Notons également que le mysticisme n’est encore une fois pas propre aux autoritarismes, on peut citer l’amour de l’Égalité dans la « Démocratie en Amérique » d’Alexis de Tocqueville comme effet pervers des démocraties pluralistes.

Mais cette mystique atteint son paroxysme avec la théorie de la Souveraineté populaire de Rousseau, qui va créer une entité une et indivisible : la Nation. Cette entité a pour fondement l’intérêt général notion indéfinie élevée au rang de divinité. Ainsi, dans cette théorie l’individualité n’existerait plus et tout un chacun ainsi annihiler serait guider par un pouvoir surnaturel intérieur tendant vers la satisfaction de cet intérêt général, Rousseau appelle ça l’addition des civismes. Concrètement, l’intérêt général serait l’État entité surnaturelle à qui on devrait une totale dévotion. Hobbes avait déjà développé une variante dans ce qui appelle le « Léviathan » ou État omnipotent.

 

Georges Orwell dans son roman d’anticipation « 1984 » va décrire ce mysticisme autour de l’image de l’incontournable Big Brother, personnage n’existant pas mais imprégné dans les esprits des individus de manière qu’il s’élève en divinité. Tout cela pour asseoir la légitimité de « Ingsoc ».

 

Enfin, pour clore ce pilier fondamental, on peut parler d’un autre point non traité par de la Boétie, le 16ème était limité en terme de moyen de communication. C’est l’état de fait généré par le tyran, par exemple un état de guerre perpétuelle pour maintenir les populations en servitude, la peur artificielle faisant qu’elles préfèrent la servitude. Tout cela passe par une propagande active et continue.

Mais tout ces moyens de maintien de la servitude ne sauraient fonctionnés si les individus dès le départ refusaient la servitude. Le dernier pilier décrit par la Boétie met en avant la complicité des individus à cet état de servitude.

 

 

E –Les courtisans : le dernier pilier de la servitude ou la complicité des asservis.

La servitude ne peut pas tenir si le tyran est tout seul, il lui faut une structure plus ou moins élaborée pour matérialiser cette état d’asservissement et cela commence par les courtisans.

 

De la Boétie va ainsi mettre en avant l’organigramme de la servitude, en effet pour que château de cartes puisse tenir il faut une « caste » de privilégiée qui doit restée redevable à son bienfaiteur : tyran. Ces privilégiés sont dans la croyance qu’être dévot au tyran, c’est obtenir ses faveurs. Bien entendu, pour que tout cela fonctionne il faut que ces privilégiés produisent eux mêmes des privilégiés qui vont être dépendants d’eux, comme ils le sont avec le Tyran. Il faut voir cela comme une chaîne verticale avec à la base les petits fonctionnaires qui deviennent les mains des tyrans pour contraindre et tromper le reste de la population.

 

Ainsi, l’individu peut être complice de l’état de servitude sous prétexte qu’il pourrait obtenir des libéralités de la part du tyran, libéralités dont il oublie qu’elles proviennent d’une spoliation chez un autre individu. De la Boétie va très loin dans son argumentaire en fustigeant ces courtisans qui se placent dans cette croyance dans laquelle faut être du côté du tyran et fermer les yeux pour ne rien risquer de lui. Or, si le tyran donne, il peut tout à fait reprendre, si le tyran fait, il défait, le tyran est arbitraire. On oublie aussi qu’il est tout seul. De la Boétie utilise l’exemple des empereurs romains qui n’ont pas hésité à faire disparaître leurs proches les plus dévots lorsque la fantaisie leur venait. Le courtisan ou privilégié se retrouve finalement dans un état de servitude plus avancée qu’un non courtisan. De la Boétie ne parle que des cas où la servitude est absolue et notamment dans les régimes démocratiques, ce qui s’explique aisément du fait que les régimes démocratiques étaient au 16ème siècle marginaux.

Toutefois, lorsque l’asservissement n’est pas absolu, ce jeu peut très vite se retourner contre le pouvoir, c’est ainsi que la suppression des charges de judicatures héréditaires avant la Révolution fut une des causes de celle-ci par le fait d’une bourgeoisie ne pouvant parvenir au statut de noble.

Les régimes démocratiques n’échappent nullement à ce phénomène de privilégiés qui sont l’armature de cette état de sujétion général, on peut évidemment parler des fonctionnaires dévoués corps et âme à l’État. On peut aussi parler des syndicats bien qu’on parle plus dans cette configuration d’un contre pouvoir horizontal au tyran, c’est à dire que celui-ci partage en quelque sorte le pouvoir à côté du tyran. (Par tyran, je ne parle pas d’un gouvernement licencieux mais de toute forme de gouvernement pour simplifier l’écriture). Le suffrage universel n’a pas arrangé cela puisqu’il s’agit de faire voter des individus préalablement atteints par les autres piliers de la servitude. On ne vote pas pour la Liberté mais pour plus ou moins de servitude. Georges Orwell sur le terrain démocratique aura la même analyse que de La Boétie en désignant l’électorat complice de ses maux en désignant ce qu’il appelle les renégats et les corrompus.

 

Les régimes démocratiques connaissent également un plus grand mal, c’est lorsque la chaîne de courtisans dépasse le cadre des privilégiés pour s’installer dans les chaumières. Alexis de Tocqueville appelait cela « l’individualisme », le terme était utilisé au sens péjoratif pour désigner un égoïste vaniteux prisonnier de ses pseudos passions insignifiantes. Plus communément on appelle cela le clientélisme, c’est à dire le fait pour des individus donner d’apporter un soutien électoral à une autorité politique bien souvent locale afin d’obtenir en contrepartie des avantages personnels. En d’autres termes c’est la forme la plus pervertie et élaboré de servitude. Malheureusement, il s’agit aujourd’hui d’une réalité et notamment dans quelques régions françaises.

Le ver est dans le fruit, la base n’y étant plus épargnée par ce qui était dénoncé vivement par de la Boétie, le système se retrouve ainsi perverti et la servitude se retrouve ainsi avec de beaux et de long jours devant elle. Là où de la Boétie mettait en garde contre la servitude et servir de leçon à plusieurs générations de lecteurs, la servitude n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui.

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