De la Boetie et la servitude : une mise en garde bonne de sens. (Partie 1)

Par ChuckNoel

 

Étienne de la Boétie est né le 1 er septembre 1530 à Sarlat dans un contexte assez particulier de premier absolutisme. C’est ce qui va l’emmener à rédiger à l’âge de dix-huit ans son célèbre « discours sur la servitude volontaire » en 1547. Il fut un proche de Montaigne et s’inscrit dans la grande famille des « Humanistes » et des « naturalistes » de l’École du droit naturel.

 

Le Discours sur la servitude volontaire est d’un grand intérêt pratique, si Machiavel avant lui dans le « Prince » avait décrit les modalités d’exercice du pouvoir et du comment le garder, de la Boétie va se placer de l’autre côté de la barrière et décrire l’origine, les modalités d’exercice mais surtout il va décrire la sortie de la servitude.

 

Son essai, malgré sa brièveté, se diviserait en deux grandes parties : La première serait l’origine de la servitude (Partie 1) et la seconde sur les modalités d’exercices de la servitude autrement dit comment le dominant fait pour conserver son pouvoir avec parfois la complicité des dominés. (Partie 2)

 

I –La genèse de la servitude

 

La Liberté est-elle naturelle ?

 

Avant de développer sur les modalités de l’exercice de la Tyrannie visant à son maintien. De La Boétie introduit son traité sur le pourquoi de la servitude. La servitude est-elle naturelle ? Questionnement qui va l’emmené à se poser la question inverse, et non des moindres, la Liberté est-elle naturelle ?

 

Pour bien comprendre l’œuvre de La Boétie il faut Tout d’abord commencer de savoir à quel moment peut-on parler de servitude ?

Lorsqu’un individu ou un groupe d’individus ne disposent plus de la maîtrise de leurs choix du fait de circonstances indépendantes de la volonté individuelle. Cette définition ne semble pas complète ici, on peut seulement parler de non-liberté, par exemple un événement naturel qui ne permettrait pas à peine de mort d’effectué un choix volontaire. Les Hommes dépendent de la nature, ce qui est une vérité générale, puisque sans Nature l’Homme ne pourrait survivre de facto ce qui nous permet de déduire qu’il est soumis à ce qu’on appeler des droits naturels. Ces droits naturels sont le pendant de la Liberté naturelle !

 

Néanmoins, de la Boétie reste assez flou quant à son origine, en effet, il va apporter une description des reflexes naturels tendant à un retour de Liberté lorsqu’on est asservi. L’exemple utilisé par de la Boétie est assez évocateur c’est celui d’un éléphant aux prises de braconniers, l’éléphant ira jusqu’à négocier ses défenses pour recouvrer sa Liberté.

 

Donc la Liberté naturelle n’est pas absolue, sa portée va varier selon les caprices de la nature. Et la servitude dans tout ça ?

Par déduction, sachant que la Nature est maître de la Liberté, la servitude ne serait pas naturelle, autrement dit elle provient nécessairement d’une intervention, en l’occurrence humaine. Elle implique une annihilation artificielle des choix individuels par le fait de circonstances (cette fois-ci) biens dépendantes de la volonté individuelle. Puisque comme le développe de la Boétie, les individus acceptent la Servitude.

C’est là qu’on en vient à parler de son origine. À quel moment intervient la Servitude ?

Étienne de la Boétie définit l’arrivée de la servitude au travers de la notion de Tyrannie qui est la matérialisation politique de cette dernière. En effet, il va y distinguer trois types de Tyrannie. En premier lieu, une Tyrannie d’origine ou d’usurpation autrement dit lorsque qu’une personne prend le pouvoir par coup d’État. En second lieu, une Tyrannie d’origine, lorsque le pouvoir est héréditaire ou coutumier et que tout à coup ce pouvoir outrepasserait ses limitations ou sa « digna lex ». En troisième lieu, une tyrannie d’élection lorsque le tyran est porté par le peuple, c’est une des plus importante puisque c’est elle qui engendre le plus de servitude. On peut d’ailleurs y faire une triste analogie à l’Allemagne des années 30.

 

Locke plus tard donnera des pistes sur une origine plus concrète de la servitude dans ses « Deux traités sur le Gouvernement du Gouvernement civil » : prend pour exemple la famille, contrairement à ses détracteurs qui parlent de servitude originelle et naturelle, Locke a eu le mérite de décrire que les liens familiaux ont permis de générer la servitude. Il s’agit là d’une servitude modérée, en effet, lorsqu’un enfant n’a pas atteint ce qu’il appelle « l’état de raison », il est soumis à l’autorité de ses parents, mais cela signifie pas pour autant que les parents ont tous les droits sur leur enfant, ils ont le devoir de l’accompagner vers « l’état de raison ». Une fois cet état atteint l’enfant devient en principe libre :« tout homme qui sait l’étendue de la Liberté, que les lois lui donnent, est en droit de se conduire lui même. » Mais il ne reste pas néanmoins délié de ceux qui l’ont élevé, il dispose de nombreux devoirs envers ses parents. Au delà de ces devoirs John Locke explique qu’il y a bien souvent un contrat, qui peut être tacite, qui va lier les enfants aux parents. Les enfants acceptant de renier une partie de leur Liberté et de la déléguer au « chef de famille ». Ils restent libres de quitter cet état, à peine de perdre les avantages qui en découlaient.  La servitude serait tout d’abord une soumission volontaire à l’autorité familiale. Ce qui va donner dans une idée plus globale la conclusion de ce qu’on appelle contrat social entre un certain nombre d’individus. Ces derniers vont accepter de déléguer une partie de leurs prérogatives propres pour pallier à l’incertitude d’un état de nature, ce qui va créer une entité « société civile ». Mais dans tous les cas ce contrat est conditionnel, le délégataire dispose d’obligations de garantir les droits naturels à peine d’être déposé. La servitude est modérée.

 

Comme on l’expliquait, de la Boétie ne vise pas ce genre de servitude nuancée mais la servitude absolue, si comme il la décrit elle peut être fondée sur une tyrannie d’une ou plusieurs personnes violentes qui fondent leur pouvoir sur la force physique coercitive envers une population donnée. Cette servitude peut se fonder également sur la tromperie et l’illusion, ainsi le mot artifice pour qualifier la servitude n’a jamais été aussi fondé.

 

Lorsque la servitude intervient il faut que le tyran puisse la maintenir, comme l’avait fait Machiavel avant lui Étienne de La Boétie va décrire les modalités de la servitude, ces modalités seront détaillées dans la seconde partie de ce dossier. Il fonde ainsi la servitude autour de la contrainte, tromperie et l’illusion. Pour asservir il faut que les individus asservis soient suffisamment ignorants, aient peur de la Liberté et cela passe par l’éduction mais surtout la coutume. Ce qui est notable de noter c’est que le ou les tyrans fassent en sorte de désarmer les populations, comme le disait Machiavel dans le Prince, le tyran ne fait pas confiance à sa population dès lors il la désarme.

 

De la Boetie va plus loin que Machiavel et va décrire la difficulté pour les secondes générations à vouloir de la Liberté, un peu comme la description d’Orwelienne du 20ème siècle, ignorants tout de ce qui pouvait exister en Liberté les populations se contentent de la servitude et vont jusqu’à ignorer qu’ils sont en servitude. De la Boetie, souligne que le seul salut des dominés est la connaissance de cet état de servitude. Il prend pour exemple les cités et grands personnages de la Grèce Antique.

Pour finir, quant à la question de savoir comment peut-on sortir de la servitude ? De la Boétie apporte une réponse pourtant, si évidente, mais malheureusement souvent mise de côté. Il part de l’analyse suivante : si le pouvoir est composé d’une ou plusieurs personnes et les asservis correspondent au reste de population donc la majorité, alors pourquoi ne soulèveraient-ils pas ? Un soulèvement et en un coup la servitude n’est plus. Orwell aura une analyse similaire dans « 1984 » en décrivant les « prolétaires » et leur capacité de renverser « Ingsoc » s’ils se soulevaient. Seulement les dominés n’ont guère connaissance de ce pouvoir de retour à la Liberté.

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