Par CorsicanLibertarian,
Bïoshock est un jeu d’exploration qui décrit implicitement des figures libérales, réelles et fictives. Mais tout d’abord, je souhaiterais avertir les potentiels joueurs que cet article contient du « spoil » et qu’il est donc conseillé de finir Bioshock 1 avant de se soumettre à la lecture de l’article ci-présent. Ainsi, le premier jeu Bioshock nous fait découvrir Rapture, une ville sous-marine futuriste qui s’apparente au ravin de John Galt dans le célébre livre Atlas Shrugged de Ayn Rand, et son fondateur n’est rien d’autre que Andrew Ryan (qui soit dit en passant est un anagramme de Ayn Rand, auquel on a rajouté « Rew » en référence aux informations que le personnage principal obtiendra grâce à de vieux magnétophones qu’il rembobine). Andrew Ryan est une copie quasi-conforme de Ayn Rand. Andrew Ryan, né Andrei Ryanofski à Minsk en 1892, est l’enfant d’une famille pauvre. En 1919 lui et son père s’échappent de Russie, sa mère étant décedée. Il assiste au meurtre par des soldats de l’armée rouge de son oncle et de sa tante que son père refuse d’aider.Son expérience du régime soviétique l’a amené à développer sa philosophie personnelle : Le monde moderne avait été créé par de grands hommes qui ont su suivre leur propre idéal. A tout moment, des « parasites » (hommes politiques généralement) peuvent prendre le contrôle d’un tel monde et le détruire. Après s’être échappé de Russie, il voyagea jusqu’en Angleterre où il est accepté à l’université d’Oxford. Il émigre ensuite en Amérique en 1927, lieu où selon lui, un grand homme peut prospérer. C’était là qu’il fonda Ryan Industries, une manufacture d’armes et de produits en acier. Ryan n’a presque pas été affecté par le krach boursier de 1929. En 1932, il était nommé par « Life magazine » le plus jeune milliardaire du pays.Toutefois, les programmes sociaux adoptés dans les années 30 l’ont déçu. Ses expériences dans le « paradis du travailleur » l’ont fait mépriser les idéaux du socialisme. Dans son esprit, on ne peut posséder que ce que l’on a gagné. La goutte d’eau qui fit déborder le vase était la destruction d’Hiroshima avec la bombe atomique. À ses yeux, la bombe était ce qui avait le plus entaché son éthique, car la science qu’il aimait avait été manipulé de telle sorte que tout ce que les « parasites » ne pouvaient posséder, ils pouvaient désormais le détruire. La réponse de Ryan a été d’utiliser toute sa fortune pour construire Rapture. Andrew Ryan , le John Galt de l’histoire et également un des principaux ennemis de notre personnage (du moins, c’est ce que l’on pense), nous présente ainsi Rapture, et nous plonge directement dans l’objectivisme qui caractériste ce personnage et la ville à ses débuts :
« Mon nom est Andrew Ryan. Permettez-moi de vous poser une simple question : ce qu’un homme obtient par le travail, à la sueur de son front… Cela ne lui revient-il pas de droit ?
-Non, répond l’homme de Washington. Cela appartient aux pauvres.
-Non, répond l’homme du Vatican. Cela appartient à Dieu.
-Non, dit l’homme de Moscou. Cela appartient au peuple.
Pour ma part, j’ai choisi d’ignorer ces réponses. J’ai choisi une voie différente. »
En incarnant Jake, un jeune homme guidé par radio par son compagnon Atlas, dont nous n’avons mystérieusement pas d’information au départ, nous découvrons une ville souillée, détruite, où les individus sont devenus fous et où ceux-ci sont manipulés par Andrew Ryan, l’individu censé les libérer. Il est difficile de voir autre chose qu’une critique cinglante de l’objectivisme dans ce jeu vidéo, mais il ne faut pas s’arrêter aux premières impressions. Dans ce jeu, Jake, le personnage principal, peut bénéficier d’améliorations physiques en s’injectant ce que l’on appelle des plasmides. Le héros obtient ainsi des pouvoirs qui lui permettront de se défendre contre les chrosomes qui sont les habitants de Rapture ayant muté car s’étant injecté trop de plasmide. En ramassant les magnétophones tout au long de l’aventure et en s’intéressant aux scènes du scénario, on s’aperçoit des très grandes références à Ayn Rand, comme pour ses vues sur la propriété intellectuelle, sur l’altruisme ou encore son profond athéïsme.
« Je ne crois pas à Dieu, à une présence invisible dans le ciel. Il existe quelque chose de plus puissant que chacun de nous, l’union de nos efforts. Une grande chaîne industrielle qui nous unit, mais ce n’est que lorsque nous luttons dans notre propre interet qu’elle tire la société dans la bonne direction. La chaine est trop puissante et trop mysterieuse pour qu’un gouvernement puisse la contrôler. Tout ceux qui vous diront le contraire vous videront les poches ou poseront un pistolet sur votre tempe »
Mais au fil de l’histoire, on apprend qu’un individu, Fontaine, met la ville à mal (Fontaine est également le fondateur de Fontaine Futuristics, une firme qui commercialise les plasmides). En effet, Fontaine fait de la contrebande et fait entrer illégalement des produits dans la ville. Andrew Ryan voit en cela une déclaration de guerre. Ainsi, Andrew Ryan déclare après une proposition qui lyi a été faite par un scientifique :
« Franchement, votre proposition me choque. Si nous modifions la structure de notre ligne commerciale de plasmide comme vous le proposez pour que leurs utilisateurs soient vulnérables à la suggestion mentale par le biais des phéromones, nous pourrions alors contrôler les actes des citoyens de Rapture. Le libre-arbitre est le fondement de cette ville. Je ne supportais l’idee de le sacrifier. Cependant, il est vrai que nous sommes en temps de guerre. Si Atlas et ses bandits prennent le dessus, ne feraient ils pas de nous leurs esclaves ? Qu’adviendrait-il alors de notre libre-arbitre ? La fin justifie parfois les moyens. »
Là encore, cette citation de Murray Rothbard décrit parfaitement ce que montre Andrew Ryan : La guerre n’est rien d’autre qu’un programme d’expansion étatique. À choisir le moindre mal, nous choisissons toujours pour le mal. Par la suite, nous pouvons entendre nombre d’enregistrement qui nous prouve que notre John Galt se fait toujours plus dirigiste et toujours moins objectiviste dans sa lutte contre Fontaine. Il finit par violer la propriété privée d’un bon nombre de ses citoyens (avant de les asservir).
« Les braves gens de Rapture ne sont pas venus ici pour voir leur gouvernement fermer les boutiques et abattre leurs propriétaires. »
McDonagh
Ou encore : »On vient de me demander de refroidir Anna Culpepper. Elle n’a rien d’un gangster ou d’une politicarde à la tête froide. C’est une dingue qui écrit quelques chansons que Ryan ne peut pas supporter. »
Sullivan, un des hommes de Ryan
On voit à quel point l’usage extensif de pouvoir par Ryan est en train de profondément le corrompre.
Enfin voilà que Ryan met son plan à exécution. Il nationalise la firme de Fontaine qui commercialise des plasmides, et on peut sans mal deviner que c’est pour leur apporter la modification qui lui permettra de contrôler tout les citoyens de sa ville. Son rêve s’effondre, la Liberté a disparu, toute la population n’est plus composée que d’esclave et de parasite et qui vit au quotidien en spoliant toujours plus la propriété privée d’autrui. Un des derniers magnétophones que nous obtenons avant notre rencontre avec Ryan nous permet d’avoir un condensé de ce que provoque la Tentation du Pouvoir. Bioshock est l’histoire du Ravin de John Galt qui s’est transformé en 1984.
« Je croyais en cet endroit. J’avais foi en Ryan ! Mais quand les choses se sont gâtés, Ryan a cessé de croire en Rapture, à cette grande chaîne dont il parlait. Il a cru au pouvoir !! Maintenant c’est le chaos !! » Anya Andersdotter
Qu’esr-ce qui a contribué à entraîner Rapture dans l’esclavage ?
Il y avait une faille dans le plan de Ryan : la raison pour laquelle il a construit la ville. Pour garder Rapture cachée des « parasites », il a strictement interdit tout contact avec la surface, entraînant ainsi par la création d’un marché noir de contrebande, qui a conduit à la seule chose que Ryan n’avait pas été en mesure d’imaginer – un homme brillant et déterminé pour qui la liberté, la richesse et le confort ne sont pas un idéal. Un homme qui ne pouvait être satisfait que par le contrôle – l’ancien gangster Frank Fontaine. La vie de Fontaine avant qu’il ne devienne un citoyen de Rapture lui a fourni toutes les compétences lui permettant de dominer le marché de contrebande qui s’était établi lorsque la ville fut isolée. Comme Rapture était complètement isolée de la surface, peu étaient au courant du chaos provoqué par la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale et Fontaine était facilement en mesure de convaincre les plus démunis avec des promesses de révolution. Avec les richesses du marché noir, la biotechnologie de l’Adam, et une propagande finement gérée, il lui a fallu moins de trois ans pour acquérir le pouvoir de contester ouvertement Ryan.
Le tort de Ryan est de n’avoir laissé aucune information de l’extérieur entrer dans la ville. Cette simple liberté aurait permis aux individus de s’apercevoir qu’il vivait clairement à l’abri d’un chaos perpétuel dans le monde du dessus. En somme, ce qui a perdu Ryan est donc le sectarisme qui caractérisait le mouvement randien, ce que critiquait certains libéraux : on retrouve plusieurs caractéristiques de ce sectarisme dans Rapture.
Comme le dit bien justement Murray Rothbard, le mouvement randien de l’époque était caractérisé par un sectarisme très fort : »Le pouvoir, et non la liberté ou la raison, tel était le moteur central du mouvement randien. Le grande leçon de l’histoire du mouvement libertarien est que cela peut arriver chez nous, que les libertariens, malgré leur dévotion explicite envers la raison et l’individualité, ne sont pas à l’abri d’un culte mystique et totalitaire, qui envahit les mouvements idéologiques comme les mouvements religieux. Il faut espérer que les libertariens, ayant déjà attrapé le virus une fois, se montreront désormais immunisés. »
Bioshock est une présentation de l’objectivisme ainsi qu’une critique de la Tentation du Pouvoir qui peut pervertir chacun d’entre nous. Ce n’est pas l’égoïsme et la libre-entreprise qui ont fait plongé Rapture. C’est le pouvoir et la haine de l’autre.