Par Chuck Noel,
1848, c’est la fin de la Monarchie de Juillet, et l’avènement de ce qu’on appellera la IIème République. Bien qu’elle est surtout marquée l’Histoire pour sa brièveté, interrompue brutalement par le coup d’État du futur Napoléon III. La IIème République révèle néanmoins quelques surprises et des « surprises » avant-coureureuses de perversions bien connues de nos jours. C’est ce qu’on appelle gentiment les « droits sociaux » ou « droit créance ».
Alexis de Tocqueville bien connu pour mettre en garde contre les dérives que pourrait connaître une Démocratie notamment par l’individualisme excessif (désintéressement de la vie publique locale) couplé par l’amour de l’égalité (égalitarisme), qui sont les fondations de ce que Tocqueville va appeler le despotisme doux autrement dit un esclavage passif de la population a qui ne lui vient plus à l’esprit l’idée de Liberté.
Lors de la rédaction de la Constitution de la IIème République des débats animés se jouaient autour de la question de ces droits créances (droits à) et plus particulièrement la question de la charité. Tocqueville alors présent au sein de la Commission de l’Assemblée relatif au projet d’une nouvelle Constitution, érigea de vives critiques contre un amendement portant projet le droit « au » travail, (qui préfigure sur le court terme, les ateliers nationaux) c’est à dire l’obligation pour l’État de donner un travail pour tous. L’État se substituerait par là au marché du travail, ce qui aurait des portées considérables. Ainsi Tocqueville mit en garde contre les dégénérescences que pouvaient connaître l’institution d’un tel droit « au » travail. Voici un (long) extrait de son discours :
« (…) l’amendement, avec le sens que les paroles qui ont été prononcées et surtout les faits récents lui donnent, l’amendement qui accorde à chaque homme en particulier le droit général, absolu, irrésistible, au travail, cet amendement mène nécessairement à l’une de ces conséquences : ou l’État entreprendra de donner à tous les travailleurs qui se présenteront à lui l’emploi qui leur manque, et alors il est entraîné peu à peu à se faire industriel ; et comme il est l’entrepreneur d’industrie qu’on rencontre partout, le seul qui ne puisse refuser le travail, et celui qui d’ordinaire impose la moindre tâche, il est invinciblement conduit à se faire le principal, et bientôt, en quelque sorte, l’unique entrepreneur de l’industrie. Un fois arrivé là, l’impôt n’est plus le moyen de faire fonctionner la machine du gouvernement, mais le grand moyen d’alimenter l’industrie. Accumulant ainsi dans ses mains tous les capitaux des particuliers, l’État devient enfin le propriétaire unique de toutes choses. Or, cela c’est le communisme.
Si, au contraire, l’État veut échapper à la nécessité fatale dont je viens de parler, s’il veut, non plus par lui-même et par ses propres ressources, donner du travail à tous les ouvriers qui se présentent, mais veiller à ce qu’ils en trouvent toujours chez les particuliers, il est entraîné fatalement à tenter cette réglementation de l’industrie qu’adoptait, si je ne me trompe, dans son système, l’honorable préopinant. Il est obligé de faire en sorte qu’il n’y ait pas de chômage ; cela le mène forcément à distribuer les travailleurs de manière à ce qu’ils ne se fassent pas concurrence, à régler les salaires, tantôt à modérer la production, tantôt à l’accélérer, en un mot, à se faire le grand et unique organisateur du travail. »
Le droit « au » travail mène irrésistiblement au Communisme. Voilà par là ce que Tocqueville tente d’expliquer. Si malgré tout, cela ne mènerait pas au communisme, l’État resterait toujours aux premières loges pour moduler le marché du travail à sa guise. Dans les deux cas ce sont les Libertés individuelles et la propriété individuelle qui se retrouvent annihilées.
Tocqueville a malheureusement vu juste, en effet, la auteurs de la Constitution de 1848 inséreront néanmoins dans son Préambule ces injonctions vénéneuses dans les Paragraphes VI et VIII, respectivement : « Des devoirs réciproques obligent les citoyens envers la République, et la République envers les citoyens. » ; « [La République] doit, par une assistance fraternelle, assurer l’existence des citoyens nécessiteux, soit en leur procurant du travail dans les limites de ses ressources, soit en donnant, à défaut de la famille ».
Les constituants de 1946 pour la Constitution de 1946, de manière plus atténuée, vont continuer dans ce sens ainsi dans son Préambule, les alinéas 6 à 9 sont relatifs au « travail » :
6. Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix.
7. Le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent.
8. Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises.
9. Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité.
L’alinéa 9 consacre la « nationalisation » et le « monopole d’État », on revient encore exactement dans les craintes d’Alexis de Tocqueville. Rappelons-le que ce Préambule a toujours force de loi puisque le Conseil constitutionnel l’a intégré dans son « bloc de constitutionnalité ». (Décision 71-44 DC du 16 juillet 1971).
Le droit « au » travail en France a mené à ce qu’on connaît aujourd’hui à un marché du travail asphyxié, sans possibilité d’évolution, sans possibilité d’expansion. Tocqueville avait bien raison quant on connaît la taille du Code du travail aujourd’hui.
On peut conclure sur un autre contemporain de Tocqueville qui dans son ouvrage « Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, ou L’économie politique en une leçon » qui n’est rien d’autre que Frédéric Bastiat, va étudier l’aspect économique d’un telle droit « au » travail en mettant en exergue une préfiguration de la théorie de la capture de Stigler, qui n’est qu’en réalité que rien d’autre l’institution d’un Monopole d’État, ou les industriels non choisis par l’État sont écrasés par l’impôt pour financer ce système perverti.
En conclusion, ce n’est pas le droit « au » travail mais le droit « au » profit. Que préfigure un tel droit créance. Les faits n’ont fait que démontrer que Tocqueville puis Bastiat avaient tous les deux raisons.