Qu’est ce que l’état de nature ?
Tout le monde s’accorde –ou presque- sur l’existence d’un « état de nature » et que celui-ci précède la société politique, mais peu de personnes s’accordent quant aux modalités de cet « état de nature ». Pour les uns, il serait « anomique » où régnerait un état de guerre permanant et où régnerait la seule loi du plus fort : « l’Homme est ici, un loup pour l’Homme », c’est la conception Hobbesienne de l’état de nature. D’autres affirment comme Rousseau que l’ordre naturel est amoral, c’est à dire que l’Homme à l’état de nature n’aurait aucune conception du bien et du mal, c’est le pacte social et la société politique qui en découle seuls qui le rendra moral, quitte à le forcer à être libre. Et d’autres estiment que l’état de nature est un état de stricte égalité en droit de tous les Hommes, disposant chacun des même droits et prérogatives, à savoir le pouvoir de réprimer les transgressions faites au droit naturel- qui régit cet état de nature – et pouvoir y réclamer une réparation personnelle en cas d’un préjudice directement subi. Ainsi, chacun peut donc sanctionner proportionnellement à la faute commise par celui qui se serait rendu coupable d’une telle transgression. On peut donc dire, selon Locke, que l’Etat de nature n’est ni dépourvue de règles et ni dépourvue de morale, bien au contraire.
Si l’état de nature n’est ni un état d’anomie, ni un état amorale, quelles seraient –concrètement- ses finalités, ses bornes ?
Pour John Locke, la finalité principale de l’ordre naturel –qui est en somme toute assez évidente : est la conservation de l’espèce humaine ainsi que de ses biens. Cette conservation amène tout naturellement à interdire le préjudice corporel, tel que le meurtre, ou tout préjudice portant sur des biens. L’État de nature à pour essence une « mutuelle sureté » de la part de chacun des individus. Ainsi, aucun ne saurait porter une telle atteinte puisque l’état de nature est égalitaire, chacun disposant des mêmes droits et prérogatives. Chacun doit alors assurer la conservation d’autrui, mais aussi veiller à sa propre conservation. L’originalité de la pensée Lockéenne est que cet état de nature s’oppose au « suicide » : « Pas le droit de se détruire lui même » pour citer Locke. En effet, se donner la mort s’assimilerait à une désertion de l’individu dans sa garde du genre humain car se conserver soi, c’est indirectement veiller à conserver autrui. En résumé, tout ce qui peut nuire à autrui est contraire au droit naturel. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que les 3 grandes religions s’accordent pour désapprouver le suicide. Une autre finalité serait la tranquillité autrement dit la « paix » selon Locke la guerre serait le retour de l’Homme à l’état animal justement l’homme pourvu de « Raison » ne saurait faire la guerre mais Locke admet toutefois la possibilité de se défendre contre son agresseur.
Cependant, comment peut-on faire respecter ces lois naturelles et comment sanctionne t-on leurs transgressions ?
Comme on a commencé à l’expliciter au début de cet article, si les hommes qui composent l’état de nature disposent également des mêmes droits et prérogatives. Cela signifie que chaque individu dispose d’un pouvoir de « justice » et de facto faire exécuter les lois de nature. Ainsi, lorsque un individu subi un préjudice personnel, il est alors en droit de juger de manière proportionnée celui qui lui a causé un dommage. Ce droit de juger se matérialise sous deux aspects, le premier est celui de pouvoir infliger une punition au délinquant en proportion du dommage causé, le but étant de dissuader d’autres à commettre un manquement similaire au droit naturel. La peine prononcée doit être similaire au préjudice qu’on a subi par exemple on peut donner la mort à celui qui a commis un meurtre : c’est la loi du talion –quoique la défense de la conservation peut aller parfois selon Locke. Notons, que si l’individu lésé n’est pas suffisamment « fort » pour pouvoir juger son agresseur, d’autres peuvent spontanément se joindre au jugement. La justice est participative et volontaire. Le second aspect, est le droit de réclamer réparation, ce sont les « dommages-intérêts ». Cette réparation est sous forme d’un paiement, en argent ou en nature, qui a pour but de rétablir la situation d’avant la transgression. On fait comme si la transgression n’avait jamais eu lieu. Chacun est son propre juge dans l’état de nature. Cependant, la nature humaine donne à la magistrature individuelle certaines limites, qui tiennent lieux de l’amour propre de chacun, de leurs sentiments, de leurs pulsions ou encore de leurs passions. De la même manière qu’un prince aurait « droits » sur ses semblables d’en convenir comme bon lui semble sans que ses derniers ne puissent le contester autrement dit en cas d’obéissance passive.
Comment donc palier à ces inconvénients ?
La réponse semble évidente pour palier aux carences éventuelles de l’état de nature, que les hommes vont fonder la société politique ou gouvernement civil. C’est parce que l’Homme est un « animal sociable » qu’il va être à un moment donné s’associer à autrui, car la nécessité lui impose de convenir avec autrui, car l’Homme a des « besoins naturels » qu’il ne saurait satisfaire tout seul. Cette société politique, fondée sur l’état de nature est donc un complément indispensable à l’ordre naturel. Toutefois cette société « fictive »-puisqu’elle résulte d’un contrat, tout en se fondant sur le droit naturel- pour être légitime devra être consentie par chacun des individus de l’ordre naturel pris isolement. Il s’agira d’un consentement individuel et volontaire. Qui dit contrat, dit obligations réciproques entres les cocontractants, en effet le contrat politique sera fondé sur la sincérité et la fidélité de chacune des parties. C’est un « contrat de confiance ».
Qu’est ce qui distingue la société politique de l’état de nature ?
La société politique se distingue de l’état de nature du fait qu’elle est fictive, elle résulte d’une convention, tandis que l’ordre naturel est dépourvu de convention autre que celle qui lie tous les hommes de part leur seul condition d’homme. Chacun des individus, va aliéner une partie de ses droits et prérogatives naturelles autrement dites, l’exécution des lois de nature et le pouvoir de magistrature individuelle.
La société politique est-elle une société parfaite ?
Comme l’état de nature, le gouvernement civil n’est pas à l’abri de l’abus, il peut se détourner des lois naturelles sur lesquelles il est censé se fonder. Mais comme il s’agit d’une convention octroyant des obligations réciproques fondées sur la bonne foi de chacun de ses parties. Ces parties disposent donc du droit de mettre fin au contrat, ou mettre hors d’état de nuire l’auteur de l’abus par ce qu’on appelle : « le droit à la résistance à l’oppression ». Ce droit dont dispose chacune des parties lorsqu’on porte une atteinte manifeste au droit naturel est Saint Thomas d’Aquin pour qui la loi naturelle est « la perfection de la raison humaine » admet qu’un Souverain n’est plus légitime lorsqu’il transgresse cette loi, il devient dès lors tyran et le peuple peut donc légitimement déposer le tyran. Par contre chez Hobbes ce droit est complétement anéanti puisque « la seule façon dont la Loi naturelle peut se prévaloir est que les hommes se soumettent au commandement du Souverain ». « Dura lex, sed lex » c’est ainsi qu’est né le positivisme juridique qui va justifier la transgression de la loi naturelle par le tyran qui conserve ainsi toute légitimé, la loi c’est « Lui », plus tard Rousseau transposera l’idée dans le « Peuple ». Cependant cette mise en cause de la responsabilité du/des souverains est excellemment justifiée par Locke : « Si celui qui juge, juge mal et injustement dans sa propre cause, ou dans la cause d’un autre, il en doit répondre, et on peut en appeler au reste des hommes. »