La Réforme territoriale et le déni de Démocratie.

Démocratie

 

I –Une réforme entre copains.

 

Nouvel épisode dans la série « redécoupons la France entre amis » après un premier « coloriage » le mois dernier qui prévoyait de découper aux « ciseaux ronds » la France en 14 « super-régions », fusionnant certains départements sans aucune considération d’ordre mémoriel.

Ce  non-sens laisse ainsi transparaitre au grand jour l’arrière-pensée du gouvernement qui, sous couvert de se conformer aux injonctions de Bruxelles, en a profité pour  procéder à quelques arrangements politicards comme la préservation de la Bretagne pour pérenniser le fief de son grand ami M. Le Drian ou encore le status quo en Nord pas de Calais pour contenter Mme Aubry et ainsi empêcher un coup de force Frontiste dans ce qui aurait été une région Grand-Nord.

En somme, un magnifique Gerrymandering (charcutage électoral) à peine voilé, doublé d’une féodalisation des Provinces elle aussi à peine voilée.

Il fallait donc un tant soit peu dissimuler tout ça : une nouvelle carte a donc été publiée avec, cette fois ci, un redécoupage plus pernicieux. Ainsi le serpent peut-il rester bien caché.

 

Bien sûr, cette réforme a été élaborée sans consultation des élus locaux, mais surtout sans même demander l’avis des principaux intéressés : les Citoyens (!), qui dans une Démocratie normale, devraient être les premiers avisés d’un tel chamboulement territorial.

Sur le papier, la Population ne se sent pas vraiment concernée par cette réforme qu’elle considère comme purement cosmétique – ce qui est dans l’absolu est complètement faux. C’est bien la couverture médiatique plus que grossière de la réforme qui la fait naturellement botter en touche. « Le champ est libre, désolidarisons les Citoyens de la vie publique ! ».

 

 

II –Une réforme bien inquiétante.

 

Si un Citoyen curieux fouille sur Internet et plus particulièrement sur les sites du Sénat ou de l’Assemblée Nationale, il découvrira vraisemblablement avec stupeur et consternation que ce découpage ne se résume pas à des traits sur une carte mais procède bien d’un vrai chambardement institutionnel.

Car c’est bien le cœur même de la tradition territoriale Française qui est touchée de plein fouet.

En effet, en rentrant plus dans les détails de cette Réforme, on voit qu’elle prévoit la création de « super-régions », leur nombre semblant avoir été fixé à 14, ce qui, comme expliqué plus haut, implique la fusion de certains départements, marquant ainsi la disparition pure et simple de ces derniers, intermédiaires indispensables bien ancrés dans la Culture Française, entre la Commune (Le Citoyen) et le Pouvoir central – avant que la Région ne devienne un obstacle supplémentaire en 1982.

 

Mais ce n’est pas tout.  La Réforme sonne également le glas des communes, en d’autres termes du village Français  – la Ruralité au sens large sera de fait reléguée au rang de simple « carte postale ». Le Gouvernement justifie cela par un souci d’économie, espérant économiser sans aucun fondement entre 15 et 20 milliards d’euros. Il souhaite en effet privilégier l’intercommunalité qui existait déjà – et c’est assez louable – dans son ancienne limite (au moins 5000 habitants), la barrière  passant désormais à au moins 20000 habitants – ce qui est considérable -, éloignant encore un peu plus le particulier de la gestion de la vie publique.  Ainsi, 70% des communes seront gentiment invitées, d’ici 2016, à fusionner avec d’autres intercommunalités – à défaut le préfet y remédiera « manu militari » en faisant rentrer dans le rang les communes récalcitrantes.

 

 

Autre fait marquant de cette réforme, le report des élections régionales fin 2015.  En effet, les Citoyens non informés des détails de la réforme iront voter « naïvement » pour les nouveaux conseillers de ces nouveaux ensembles régionaux. Ce que ces mêmes citoyens ne savent pas, c’est que seuls les carriéristes seront de la partie, laissant les talents potentiels dans leur « enclos » municipal. En effet la suppression des Départements1 et la fusion de certaines Régions ne peut que susciter une « ignominieuse » compétition, entre les carriéristes et les « nouveaux » qui sont souvent de simples particuliers, les premiers s’arrangeant à coup sûr pour préserver leur petit « confort ». Résultat : le renforcement de l’esprit de Corporatisme dans ces nouveaux « super-fiefs » bien entendu régis par des Seigneurs bien dociles, de telle sorte que la Province ne sorte pas du giron Gouvernemental. Plus d’alternance possible ! Digne des pires régimes communistes !

 

 

III –Le particulier au cœur de la localité : une tradition bien Française.

 

Outre les dérives qu’on vient d’énoncer, susceptibles d’apparaitre suite à cette réforme, c’est-à-dire  la féodalisation couplée à l’éloignement du Citoyen de la vie Publique, c’est toute la Conception Française de la Décentralisation qui est ici directement remise en cause, c’est-à-dire la distinction entre Département et Commune. (La Région n’étant apparue qu’en 1982).

 

Ces appellations de Département et de Commune, il est vrai, datent de la Révolution mais le système est beaucoup plus ancien car les Révolutionnaires n’ont fait que reprendre ce qui existait déjà3. Sous l’Ancien régime, le Royaume était divisé administrativement en Sénéchaussées et Baillages où un intendant, administrateur du Roi, était chargé de collecter l’impôt, veiller au bon ordre etc…

Mais plus profondément le Royaume était divisé en « Etats »2.Venant se superposer à cette division administrative, chacun des états disposait d’un statut particulier adapté au mode de vie local de ses sujets et le pouvoir central y avait plus ou moins d’influence selon le statut de l’état. Il y avait les Pays d’élections correspondant aux Provinces les plus ancienne du Royaume, les Pays d’imposition correspondant aux Provinces acquises après le 15ème siècle – par exemple la Corse –  et enfin les Pays d’état correspondant aux Provinces acquises dans le respect des Libertés provinciales et du maintien de leur Assemblée provinciale particulière.

Sous l’Ancien Régime le Particulier, y compris le paysan, était au cœur de l’Administration ; il élisait ses représentants qui composaient les assemblées locales, ces dernières étaient assez respectueuses de la composition sociale du Royaume4 et disposaient de pouvoirs qui leurs étaient propres, par exemple elles consentaient à la levée de certains impôts sous l’œil observateur de l’intendant représentant du roi qui dans bien des cas n’avait rien à dire.

 

Cet équilibre entre Pouvoir central visant les affaires d’intérêt général et les Provinces s’attachant aux affaires plus concrètes restera valide jusqu’à l’extrême fin de l’Ancien Régime. Loménie de Brienne, sous influence physiocrate5 tentera d’étendre ce régime aux municipalités en leur octroyant certaines compétences comme l’approvisionnement, l’assistance et l’hygiène publique qui d’ailleurs préfigureront les grandes missions du maire dans le cadre de sa police, à savoir : Salubrité, Tranquillité et Sécurité.6

Son projet sera interrompu par le désordre révolutionnaire.

 

La France est depuis des siècles un Etat unitaire décentralisé, même si le pouvoir central a tenté en vain de s’interposer. Le Sujet, qui plus tard laissera place au citoyen,  a été, est, et doit demeurer l’un des acteurs principaux de la Démocratie. Pour cela, il lui faut une certaine latitude à l’échelon local surtout s’il provient d’une localité avec un corps social qui s’est constitué en communauté de destin, de souvenir ; le Citoyen n’aime guère le grand espace.  Dans le cas contraire nous ne serions plus dans un Etat pouvant se revendiquer comme une Démocratie puisque les citoyens seraient réduits à choisir leurs représentants locaux parmi quelques potentats locaux, qui s’accapareraient, par ce mouvement insensé, les pleins pouvoirs, à savoir en réalité « le glaive temporel », « le glaive spirituel »7 revenant dans les faits au pouvoir central – aujourd’hui le Gouvernement central de l’Etat Français, et demain pourquoi pas le Gouvernement de l’Etat Européen…

 

IV –Vers un pouvoir central plus que présent : des suites inquiétantes.

 

Pour qu’une Démocratie soit opérationnelle dans toute sa pureté il faut trouver un juste équilibre et cela passe notamment par la Décentralisation. En effet, le Pouvoir central doit veiller au respect des grands principes de la Nation tels que la Constitution, et garantir et maintenir la Cohésion nationale. Il doit aussi assurer un rôle de contrôleur à l’égard du Département et de la Commune, seul modèle viable sur le moyen-long terme, même si au fond de moi je reste persuadé que le système d’assemblée provinciale peut être intéressant seulement si le Pays connait une longue prospérité, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Dans l’absolu le département-commune semble être un juste compromis. Enfin, la Nation se doit également de respecter les particularités historiques et économiques des provinces qui peuvent être un puissant moteur de cohésion.

 

Le département et la Commune représentent par l’élection de leurs magistrats respectifs une certaine image de la volonté citoyenne, même s’il est vrai que là aussi, comme c’est le cas de la « super-région » dessinée par Hollande, il y a risque de corporatisme.

Donc, la Commune et le département accroissent la participation citoyenne qui, dans ces échelons, apportera au Citoyen, outre une responsabilisation dans la vie publique locale, une responsabilisation dans la vie publique nationale, engendrant par conséquent, une responsabilisation bienvenue du Citoyen dans ses pérégrinations personnelles, le rendant ainsi plus enclin à l’entreprise, prolifique pour le bien être de la Nation – plutôt que de le laisser patauger dans sa mare.

 

En effet, de par la création de ces supers régions – pour ne pas dire ces « supers féodalités » -, le Citoyen va être amené à se désintéresser encore plus des affaires publiques se disant : « Inutile que je perde mon temps à m’y intéresser, je ne serai jamais entendu dans ce désert.  Qui suis-je, moi, petit individu, pour interférer dans les affaires publiques ? Et quand bien même je perdrais mon temps à m’y intéresser, les fonctions officielles me seront fermées».

Ainsi, le Citoyen , dépourvu d’intérêt, s’adonnera plus facilement à la distraction et se délestera plus facilement de sa Souveraineté, qu’il considéra comme un fardeau, au profit du Pouvoir central, qui s’occupera de tout(!), plus particulièrement de sa distraction, lequel pouvoir dans le long terme ne sera pas l’Etat Français mais bien le futur Etat Européen qui se profile petit à petit.

En effet, la réforme a été décidée dans les bureaux de la Commission Européenne, partisane d’une uniformisation légale, sociale, et même  physique ; pour cela il faut faire disparaitre la principale barrière de son délire : La Nation !

Ici, on peut aisément se demander si le Gouvernement n’a pas préparé le terrain. Le but étant de créer un Etat européen régional sur le moyen terme puis un Etat centralisé Européen sur le long terme, en y maintenant quelques folklores locaux afin d’y faire oublier aux citoyens disposant encore d’une parcelle de Raison cet irréparable Blasphème.

 

 

V –Un équilibre pour la Démocratie.

 

La Réforme donne les pleins pouvoirs aux Régions, renforçant l’emprise de certains petits caporaux, éloignant ainsi le Citoyen des affaires.

L’idéal serait que certaines compétences dévolues aux Régions restent au Pouvoir central coordinateur, qui ne doit pas ignorer d’éventuelles remontrances faites par les Citoyens, d’autres, nécessaires dans la vie quotidienne du Citoyen restant à l’échelon local, par exemple la gestion des collèges/lycées, l’urbanisme etc…

Toutefois, la meilleure solution consisterait d’effacer l’obstacle inutile qu’est la Région ; nul besoin d’avoir fait de longues études pour comprendre qu’elle est génératrice de dépenses superflues, ne serait-ce qu’au niveau de la fonction territoriale. La France peut s’en passer.

 

Ainsi, on limiterait par la même occasion l’influence de certains potentats locaux pour enfin, comme je l’ai dit tout au long de ce « papier », placer le citoyen au cœur des affaires publiques. Il faut y maintenir le juste équilibre entre pouvoir central et local. Tocqueville en rêvait.8

 

NB : Un autre contributeur du blog (Ardalche), en relisant cet article, m’a fait remarquer que les réseaux sociaux et Internet en général empêchaient au contraire le Citoyen de complétement se désolidariser  de la vie publique, mais malheureusement cela reste très marginal. En effet la distraction sur ces réseaux est omniprésente, par exemple sur Twitter, que j’utilise régulièrement avec un fil de discussion très vigilant, je pourrai me dire qu’on est nombreux à être sensibilisé sur les dérives du Pouvoir… mais il n’en est rien : dans 95% des cas, les plus gros « Hashtag » (Les choses, personnes etc. les plus mentionnés sur ce réseau) concernent soit des « stars » de la tv réalité soit des émissions ou événements « niais ». L’information est bien là, mais ensevelie sous ce tas (pardonnez-moi l’expression) de purin, sans compter la censure en France qui dépasse celle la Russie sur Twitter.

 

Notes :

 

1Les départements ne seront dans l’absolu pas supprimés, par exemple ils s’occuperont de Culture, Tourisme et autres thématiques de secondes zones – les principales seront confiées aux Régions – mais vidés de toute substance juridique, on peut dire qu’ils le seront.

2 Vérifiable dans n’importe quel manuel d’Histoire du droit, par exemple « Introduction Historique au droit et l’Histoire des institutions » de Eric Gasparini et Eric Gojosso dans l’édition Gualino – lestenso édition.

3Voir Décret des 15-16 janvier, 26 février et 4 mars 1790.

4Par exemple depuis 1639 l’Assemblée des communautés de Provence n’appelait que des représentants du Tiers-état.

5Ancêtres des libéraux, bercés par des auteurs comme Locke, Montesquieu, en Droit et Adam Smith en économie, le chancelier Turgot en sera la figure sous le règne de Louis XVI.

6Voir l’article L2212-2 du Code général des Collectivités territoriales.

7 Vient de la Théorie des deux glaives attribué à tort à Saint Augustin qui suscita un conflit de Souveraineté entre l’Eglise et les différents Princes Européen, l’idée est que le glaive spirituel du prêtre guide le glaive spirituel du Prince.

8Pour plus d’explications lire la partie 4 « De la Démocratie en Amérique II » d’Alexis de Tocqueville inutilité « de l’influence qu’exercent les idées et les sentiments démocratiques sur la société politique » du chapitre 2 au chapitre 6.

 

 

 

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